Contenance en pedopsychiatrie

De la contention à la contenance en pédopsychiatrie

Je suis infirmière en pédopsychiatrie .

La structure dans laquelle je travaille accueille des enfants en hôpital de jour au rez-de chaussée, des adolescents en hospitalisation au 1er étage mais assure également des entretiens infirmiers dans le cadre du C.M.P., ainsi que des entretiens avec des pédopsychiatres, des psychologues. Les enfants sont également suivis par des orthophonistes,  des psychomotriciennes, une relaxologue et une diététicienne. L'établissement est situé au cœur de la ville entre la voie de circulation principale de Gap et la voie ferrée.  

 L'adolescent, est « transformation » dans tous les sens du terme, et de ce fait, est amené à se chercher. La transgression est un fait: pour se tester, pour tester l'adulte...d'où la nécessité d'un cadre rassurant. Je suis amenée à rencontrer l'adolescent, ayant des difficultés liées à ces transformations mais l'équipe peut aussi être confrontée à l'entrée en maladie du jeune hospitalisé. Toute la difficulté réside, selon moi, à faire la distinction entre ce qui relève de la croissance tumultueuse d'un adolescent et l'entrée en pathologie.

Comment contenir sans punir...? Ma fonction est de rassurer...

 J'ai pu faire expérience de grandes violences au sein de ce service et ai souvenir de l'ingéniosité de mes collègues pour désamorcer les débordements. Comment gérer l'imprévisible, Comment protéger, ou même se protéger? En toute honnêteté, le désordre n'est pas acceptable au delà d'un certain seuil, au sein d'un service multidisciplinaire où accueil de familles, d'enfants et accueil en hospitalisation font parfois mariage surprenant. Je revendique mon statut de personne de terrain, de soignant du topos. Nous vivons le quotidien et sommes amenés à rencontrer le jeune dans sa vie de tous les jours au sein de cette hospitalisation avec ce qu'elle peut comporter : le  règlement, l'enfermement même si celui-ci est discuté avec cet adolescent et même si le service n'est pas fermé. En effet,le service ne comporte pas de cellules d'isolement; il est service ouvert. Et si je parle ici d'enfermement, c'est parce que l'hospitalisation n'est jamais un choix, tout simplement, parce que la maladie ou le « mal à dire » n'en est pas un. Comment entourer un jeune que la parole n'atteint plus et ne contient plus ? Je vous parle sans détours de phases maniaques, de crises d'angoisse d'une telle intensité qu' elle en sont palpables. Le cadre nécessaire, contenant  peut se transformer dans certaine situation en débordement face auquel l'infirmier doit faire preuve d'une grande créativité.

Je ne pourrai vous parler que de moments figés, de photographies, d'instants magiques qui ont pu à un moment donné, désamorcer la violence sous-jacente. Le temps n'est pas figé et les individus sont eux-même à un instant précis en fonction de leur pathologie, de leur mal-être du moment, dans « l'ici et le maintenant ». La question est comment penser le soin? Nous vivons l'instant...même si réflexion peut se faire par la suite par le biais de réunions...nous sommes seuls face à ces instants  de débordement.

 Vignette clinique

 J'ai pu découvrir au sein de mon équipe une créativité sans cesse renouvelée face à certains jeunes hospitalisés sur le long terme au sein du service. Je peux vous parler, l'ayant vécu, de celle-ci à partir d'un exemple concret : celui de Mathieu, un jeune qui a été accueilli dans notre service pendant plusieurs mois; il faut bien l'avouer, il « usait » les partenaires des autres structures et a amené un certain  épuisement dans la nôtre. Mathieu était dans une provocation permanente, dans la destruction, dans l'affrontement et difficile à maintenir en hospitalisation puisqu'il lui arrivait fréquemment de se retrouver dans les bureaux d'entretiens médicaux du deuxième étage pour en interrompre le cours ou pour mettre sans dessus-dessous le dit bureau, comme il pouvait aussi se trouver au dehors de la structure sans pour autant qu'il soit question de fugues mais il est certain qu'il se mettait en danger (rappelons que notre établissement se situe en plein centre ville et près de la voie ferrée). Il est très aisé pour les jeunes de sortir de l'établissement: un sprint et ils sont dehors; l'infirmier prend soin des patients mais ne peut être omniprésent auprès de tous et ce à chaque instant. Je me rappelle qu'il s'était allongé près de cette dite voie ferré et attendait que nous le forcions à revenir. Je me sentais défaillir. Je savais que si je le  lui ordonnais de revenir, il ne le ferait pas alors je mis en route ma moto virtuelle et la fit vrombir et je regardai Mathieu avec plein de défiance et lui dit : « Je parie que tu n'es même pas capable de me doubler et d'arriver dans le service avant moi ». Je ne rappelais pas à l'ordre mais re-situais dans un autre ordre : celui du jeu. C'est alors qu'il mit sa moto en route pour gagner le pari. Il se prit au jeu et oublia la violence qu'il voulait se faire. Et il était tout heureux de m'avoir supplanté. Il pouvait aussi s'amuser à déclencher les alarmes incendie et occasionner ainsi l'ouverture des trappes d'aération: ce qui occasionnait la venue répétée des techniciens de l'établissement.  Il était accueilli en psychiatrie et jouait au « fou ». Il était en recherche constante de réactions et ne fut pas déçu en la matière lorsqu'une de mes collègue lui a envoyé un verre d'eau à la figure après qu'il lui eu fait subir le même sort : il fut alors surpris et plein de respect pour cette soignante. Il lui arrivait aussi fréquemment de hurler brusquement sur moi pour jouer à me faire peur : que ne fut pas sa surprise lorsque j'en fis autant : il se mit à rire. Mathieu nous entraînait dans des jeux inventés grâce aux matériaux présentés. Nous partions de son matériel, de la connaissance que nous percevions de ce jeune pour accueillir et tenter de contenir « son angoisse » sans nom. A l'image de la mère qui invente afin de symboliser ce qui peut être dit, nous étions en quête d'une limite que nous cherchions avec lui parce qu'il était en errance. Nous la percevions, mais comment pouvions nous y faire face? Le jeu semblait être le médiateur qui nous poussait à une pratique intuitive. Cette dimension ludique, non persécutrice était née de la créativité d'une équipe, de sa capacité à entendre les expressions d'angoisse, de les prendre en dépôt. L'accompagnement de ce ressenti d'émotions par les mots et la volonté de lui donner signification passait par la proposition d'un bon objet de telle sorte que Mathieu pouvait se l'approprier. Dans cet espace de jeu, il nous arrivait d'atteindre une certaine régression avec un jeune âgé de 14 ans mais cette pratique ludique, issue de notre ressenti émotionnel, était née d'une tentative de réponse à cet appel sans fond.

Je ne peux vous parler que d' instants « T » qui ne furent peut-être valable, en ce qui concerne l'apaisement de ce patient, que l'espace que dure un instant...

 J'ai le souvenir de l'amour de Mathieu pour les chansons d'une certaine époque qui n'était pas la sienne. Il fredonnait Boris Vian, Moustaki, Régiani...je me suis toujours demandée où et avec qui, il avait pu les apprendre. Il n'a jamais partagé cela ...peut-être était-ce trop douloureux d'en parler.

Je me rappelle d'une situation qui aurait pu finir violemment : M. s'apprêtait à frapper un des infirmiers qui était dans le bureau. Ma collègue et moi même avons commencé à chanter le déserteur tant aimé de ce patient. Il ne semblait pas entendre mais nous avons persévéré et Mathieu. nous a accompagné et nous avons commencé à danser sur cet air et d'autres qui avaient suivis. La violence s'était envolée...vu d'une manière extérieure, la situation pouvait sembler folle mais qu'importe : nous étions ensemble à partager. Et le déserteur symbolise tellement bien le pacifisme.

J'avais pour habitude lorsqu'il avait une envie irrépressible de frapper quelqu'un et moi notamment, de lui présenter mes mains pour qu'il puisse les boxer et j'accompagnais alors ces gestes de la chanson de Matthieu Chédid « La haine, je la jette ». Il s'agissait pour moi de symboliser cette haine qu'il avait en lui, de la concrétiser, de la nommer et de la jeter...par dessus mon épaule. Oui, l'équipe avait compris cette haine existante mais chercher à mettre des mots, à canaliser, mais surtout à la reconnaître...J'ai souvenir aussi de collègues qui avaient collé des affiches aux murs pour que chaque jeune et notamment, Mathieu puisse écrire ce qui lui venait à l'esprit...l'expression en toute liberté mais canalisée.

Espace de liberté offert, susceptible d'être occupé ou non...Liberté, « J'écris ton nom... »

 Conclusion

Inventer, créer pour moi n'est pas partir d'un néant mais d'une perception qui ne peut exister que par l'acte d'empathie...Il s'agit de partir d'une base, que nous ne percevons pas de façon évidente mais qui existe cependant et de s'en servir pour contenir : maintenir pour éviter la souffrance que peut représenter la perte des repères. Il s'agit de « tirer du néant » la personne qui s'y trouve un jour ensevelie.

 La créativité par la capacité à imaginer autre chose, va partir d'une base existante : la réalité du patient. En tant que soignant, je ne pars pas de ce que je connais mais essaye de comprendre pour rejoindre l'autre, non pas pour encourager ce qu'il perçoit et vit mais pour l'amener au soulagement.

Oui, je suis compris dans ma peur, dans mon angoisse.: voici peut-être ce que l'individu peut ressentir. Pour rechercher un éventuel apaisement, il faut être présent : dans le « ce qui existe maintenant ».

Je vous parlais d'une créativité sans cesse renouvelée parce que le propre de celle-ci est l'adaptation... à l'individu existant face à nous, au moment présent...il est bien question de vie, de mouvements...

Je vous parle de ce qui n'est pas figé...de l'éternel recommencement...

Contenir pour moi rime avec soutenir...de quel soutien s'agit-il ? De celui qui est perdu, qui s'est perdu...

Dodes ka den

Marie-Aude Hantem, Infirmière, CH Laragne (05)

Texte présenté dans le cadre de la 1ére journée serpsy organisée au C.H. Montperrin en février 2011.

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