Billets de blog

  • Les Shijimachi nungen

    Le saviez-vous ?

    Jake Adelstein, premier journaliste américain à avoir travaillé au sein d’un journal japonais, a écrit quelques ouvrages où  il déplie ses aventures et ce qu’il a compris de la mentalité japonaise. Tokyo Vice, traduit en français en 2016, par Points comprend un chapitre intitulé Le parfait manuel du suicide. Tout le chapitre est intéressant. J’en retiens un passage parce qu’il me fait penser aux maniaques du protocole qui ne peuvent prendre la moindre initiative, ni s’écarter d’un iota de la règle posée. Vu de ma fenêtre, quand on a ce rapport à la règle, à la loi il est assez malvenu de reprocher quoi que ce soit aux fondamentalistes, islamistes, puritains, évangélistes, catholiques, musulmans, bouddhistes ou juifs intégristes qui sévissent jusque dans la cours suprême des Etats-Unis.  

    Tokyo vice

    Qu’écrit donc Adelstein de si intéressant ?

    « Aujourd’hui l’obsession des Japonais pour la bonne manière de faire est toujours aussi vive. Il y a quelques années l’expression manual ningen (les hommes manuels) était à la mode pour désigner une génération de jeunes Japonais incapables de toute indépendance d’esprit. L’expression fait aujourd’hui partie du langage courant, et désigne celui qui ne peut pas s’empêcher de suivre les instructions et est incapable de sortir des clous. Un synonyme de manual ningen est shijimachi ningen (les gens en attente d’instructions), qui comme vous pouvez l’imaginer, fait référence à des employés de bureau dépourvus d’initiative. » (1)

    Adelstein met le doigt sur un phénomène qui n’est pas une dérive individuelle mais une tendance collective, une fuite des responsabilités, un rapport à l’écrit, à la loi qui ne peuvent se penser que référés au collectif. Ce rapport s’actualise différemment selon les codes, les cultures, les références religieuses, les individus. Les conséquences en sont toujours dramatiques.

    Louis Hecktor

      1. ADELSTEIN (J), Tokyo Vice, trad. Cyril Gay, Editions Marchialy, Paris, 2017.

  • Des vertus du débat sur la contention

    Des vertus du débat sur la contention

    L’aurore de ses doigts roses caresse tendrement la jongle endormie.[1] Dans ma hutte de bambou tressée je flâne sur le compte Facebook de la revue Santé Mentale. J’y lis que plus de 800 soignants ont assisté le 29 novembre 2017, à Lyon, aux 3ème Rencontres Soignantes en Psychiatrie. Le thème en était « Isolement et/ou contention : quelles perspectives cliniques ? » Je me concentre, je fais le vide dans mon esprit ainsi que le recommande Christophe André. Je laisse tous mes muscles se détendre. Parfaitement serein, je peux lire les commentaires. Quelques réactions de dépit : « Un peu déçue par des pratiques pas franchement innovantes. Et pas de temps pour le débat. » « Moralisateur et pas de place au débat. Déçue. »

    Faut-il s’arrêter à ces deux commentaires ou au contraire ne s’attarder qu’aux pouces levés des 71 like ? Il faudrait éviter de laisser les messages s’incruster dans nos esprits. Ne regarder que ces pouces glorieux qui valent approbation. Je suis ainsi fait que les mots m’attirent beaucoup plus que les images. Je préfère d’autant plus me focaliser sur les mécontents que présent lors de cette journée, j’ai eu la vive impression que tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes psychiatriques. Il est vrai qu’il y eut peu de place pour le débat. Douze interventions, un film, une remise de prix, un pique-nique géant organisé dans la salle de conférence, des pauses. Le menu intellectuel était copieux. Trop ? Quelques rares questions ont ponctué les quatre tables rondes. Applaudies chaque fois qu’elles visaient à légitimer isolement et contention. C’est en tout cas ce qu’il m’a semblé. Il est vrai que je n’ai fait que passer.

    Donc pas de temps, ni de place pour le débat. Le constat mérite que nous nous y arrêtions même s’il semble très minoritaire. Le débat aurait-il eu davantage de place si les organisateurs avaient prévu davantage de temps pour les échanges ? Rien n’est moins sûr. Est-il possible de débattre à 800 ? En cette période covidienne la question paraît absurde mais elle fut quand même posée en novembre 2017 lorsque cette chronique fut publiée pour la première fois sur le site serpsy.org. Une journée consacrée aux perspectives cliniques soulevées par l’isolement et la contention en général implique-t-elle des positions si  tranchées qu’il faille en disputer ? Chacun n’est-il pas d’accord avec le fait que la contention est nuisible en général ? On peut, par contre, discuter de cas particuliers, se demander s’il est ou était légitime d’attacher M. Dupont, un jeune psychotique délirant qui abuse régulièrement de cannabis. On s’opposera des arguments cliniques, on évaluera son potentiel de dangerosité, on scrutera le nombre de personnel présent au moment de sa crise d’agitation. Mais peut-on le faire à 800 ?

    La question mérite d’être posée mais apparaît finalement comme assez secondaire. Sans le savoir, nos deux déçues des R.S.P. ont mis le doigt sur un mécanisme tout à fait passionnant qui relie, pour la langue, débat et contention. 

    Du débat à la contention

    Chacun de nous, plus ou moins façonné par la télévision, croit savoir ce qu’est un débat. Le Grand Robert de Langue Française le définit comme « l’action de débattre une question, de la discuter avec un ou plusieurs interlocuteurs qui allèguent leurs raisons. » [2] Le débat fut même un genre littéraire en vogue au Moyen-Age et à la Renaissance. Deux personnages allégoriques s’y opposaient dans un dialogue autour d’un thème choisi donnant lieu à de véritables joutes oratoires. On doit ainsi à la poétesse lyonnaise, Louise Labé, le  fameux Débat de Folie et d’Amour. On n’en sort décidément pas ! En un fameux passage à l’acte Folie énucléa Amour qui en devint aveugle.

    Ainsi, qui dit débat dit conflit, dissension, désaccord. Nos deux collègues en regrettant l’absence de débat font état d’une opposition entre ceux pour qui ça va de soi et ceux pour qui ça ne va pas de soi. Les opposants n’auraient pas eu, selon elles, l’espace pour développer leur argumentation. C’est effectivement dommage.   

    Le mot débat, apparu au XIIIème siècle, est le déverbal du verbe débattre qui avait le sens de « battre fortement », puis « se débattre » et « discuter ». Par battre, on entendait d’abord donner des coups. Si le sens du mot s’est affadi avec le temps, il s’est ressourcé en étant à l’origine de nombreuses expressions techniques agricoles : « battre le grain », « fouler le drap », « rabattre la faux », etc.

    Débattre c’est donc s’opposer avec des mots, des arguments, de la raison. Cette mutation, synonyme de progrès et de socialisation, conduit le mot à en croiser un autre aux significations, à l’origine, assez proches : contention. Tendre avec force, lutter, puis débattre et discuter. On évoque un esprit de contention et de chicane. Dans un langage assez soutenu la contention décrit au XIVème siècle la tension des facultés intellectuelles vers un objet de pensée puis une tension importante, un effort physique intense avant que la chirurgie s’en empare au XVIIIème siècle et n’en fasse l’action de maintenir dans une position adéquate un organe accidentellement déplacé. Lorsque l’on se réunit pour étudier le parcours clinique d’un patient qui pose problème et que l’on envisage de contenir, on fait preuve de contention. Lorsque chacun associe, réfléchit, se confronte à d’autres soignants plus à distance de la situation, lorsque l’on relit le dossier, lorsque l’on mobilise des situations proches pour en tirer des leçons, une expérience qui pourrait éclairer, c’est de la contention. Au sens premier du terme. Quand on renonce à ce  travail de pensée, quand on substitue des actes à une réflexion qui nous borde on est contraint à la contrainte, à la contention. 

    Comment passe-t-on du sens chirurgical, réel dirais-je, à un sens métaphorique sinon fantasmatique ? Difficile d’y répondre en quelques phrases. On retrouve le sens spécifiquement psychiatrique du terme : « Immobilisation d’un malade mental agité ou furieux au moyen de dispositifs appropriés (camisole, ceinture, etc.) ».[3] La définition est illustrée d’un exemple : « Philippe Pinel fut l’un des premiers aliénistes à renoncer au principe de la contention des agités, entièrement abandonné depuis la découverte des neuroleptiques. »[4]

    Il serait un peu facile d’affirmer que pour la langue, moins on utilise ses facultés intellectuelles et psychiques, moins on se préoccupe d’un objet de pensée tel qu’un patient ou un malade mental, plus on tend à l’attacher. La contention viendrait à la place du débat. On peut comprendre que nos deux collègues regrettent son absence.

    Débattre à 800 ?

    Il est heureux que les soignants soient en désaccord autour des isolements et contentions. Le consensus en cette matière serait tout à fait dommageable et pour les soignants et pour les patients même si notre bonne conscience préfèrerait que tous soient opposés à ces mesures. Nous sommes contre tant qu’aucune situation ne dépasse notre capacité à contenir agressivité ou violence. Il suffit que nous soyons en difficulté pour que la vigueur de notre refus faiblisse. Dans l’équipe certains commencent à en parler. Timidement. A voix basse. Autour du café. Ils ont connu un service où … Ils se rassurent très vite en précisant que dans ce service c’était rare et que ce n’était pas de la maltraitance. Plus l’équipe se sent en difficulté et plus ce courant d’abord souterrain prend confiance et parle ouvertement. Jusqu’au jour où l’on se résout à attacher le patient qui perturbe la vie du service. On est bien persuadé qu’on ne l’a fait qu’en dernier recours : « On ne pouvait pas faire autrement ! » Que ce soit vrai à cette occasion n’implique en rien que cela le soit lors des contentions suivantes. Parfois le pli est pris. La contention devient un mode de gestion des comportements inadéquats.

    Parfois, on en reste là. A cette unique expérience. C’est tellement douloureux d’avoir dû en arriver à cette extrémité, qu’on y renonce définitivement. Les soignants en parlent pendant des années, même ceux qui ne travaillaient pas encore dans l’unité. Ça fonctionne comme une faute collective qui se transmet de soignants en soignants.

    Débattre ? A 800 ? Impossible.

    Ce n’est pas la bonne échelle.

    L’isolement et la contention doivent être débattus à l’échelon local, entre collègues. On doit pouvoir s’opposer, faire état de nos désaccords, échanger des arguments et faire le constat que ces différences d’appréciations ne nous transforment pas en ennemis irréconciliables.

    Les services psychiatriques sont assez mal faits. Il n’existe aucune possibilité de  pouvoir compter le nombre de like lorsqu’une décision est prise. Si la communication, et je n’ose dire la réflexion, passaient uniquement par Internet ou par smartphone, si chaque soignant avait son avatar, il serait possible d’envoyer des like au médecin qui modifie un traitement neuroleptique. Chaque soignant serait une sorte de Néron qui pourrait abaisser ou lever son pouce, signifiant ainsi, la vie ou la mort pour la décision prise. On perdrait moins de temps en réunion.

    Y aurait-il moins de contentions et d’isolements ?

    Dans la jungle psychiatrique qui roupille, je laisse mes doigts se détendre, je les fais craquer. J’enfile une paire de gants et m’apprête à appuyer sur la touche. Le débat ne passera pas par moi.

    Dominique Friard, Lanceur d’alertes


    [1] GOTLIB, Rubrique-à-brac, n° 4, Dargaud, Paris, 2006, p. 4.

    [2] REY (A), Grand Robert de Langue Française, Paris, 2001.

    [3] REY (A), Grand Robert de Langue Française, Vol. 2, Paris 2001.

    [4] Ibid.

  • Masques jetables/lavables et temps qui passe

    Masques jetables/lavables et temps qui passe

    Aurons-nous le temps ?

    Aurons-nous le temps de démonter le réveil,

    D’en découvrir le mécanisme,

    De ralentir l’infernal tictac qui nous dicte son timing ?

    Aurons-nous le temps de secouer les puces de nos smartphones ?

    Aurons-nous le temps de rajouter quelques grains au sablier

    Et du liquide dans la clepsydre ?

    Pas le temps.

     

    Nous n’avons pas le temps.

    Haletants, nous courons d’un rendez-vous à l’autre

    Honteux d’un confinement heureux.

    Victimes du temps suspendu qui s’est imposé à nous

    Et de la dette qui s’égrène que l’on voudrait bien nous voir payer.

    Pauvre directeur du Rouvray qui persécute les soignants militants

    Qui ont alerté la population sur l’absurdité de ses méthodes,

    Sur la mise en danger des soignants et des patients

    Bricolée dans son établissement.

    Aurons-nous le temps de le contrer 

    Les larmes à la main ?

    Petite manipulation, petites gens, petits esprits

    Dans un costume bien trop grand pour eux.

    A la préfecture de Paris, c’est la casquette qui dirige

    On a cherché le Préfet

    On le croyait aux champs

    On pensait qu’il récitait des vers.

    On a soulevé la casquette

    Il n’y avait rien d’autre sous l’uniforme qu’un mécanisme fou

    Qui répétait en boucle

    Les ordres de son Maître :

    « Papon, Papon, Papon ».

    Aurons-nous le temps de balayer ces épouvantails ?

    Qui sait qui sait qui sait qui sait

     

    Nous n’avons pas le temps.

    Le temps m’accule, le temps t’accule

    Et passent les secondes, les minutes et les heures

    Nous n’avons pas le temps

    C’est le temps qui nous a.

    Perdons-le …

    Echangeons-le contre un sourire

    Le parfum d’une rose

    Un lever de soleil par matin clair

    Un aria, une cantate ou un boogie-woogie

    La lente caresse d’une main aimante.

    Le temps nous aura.

    Quoi qu’il arrive, quoi que nous fassions.

    Ces marionnettes qui s’agitent sous les projecteurs

    Ces fantoches aux casquettes d’Allemands ou de Mario tristes,

    Ces zutistes maniaques d’une vie saine en sacs poubelle et en masques jetables lavables

    Finiront au Castelet

    Sous les huées réjouies des petits n'enfants.

    D. Friard

     

     

  • Grand Bal du Printemps de la Psychiatrie

    Le grand bal du printemps de la psychiatrie

    « Les fleurs avec nous ! Les fleurs avec nous ! Les fleurs avec nous ! »

    On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la psychiatrie.

    Chacune avait reçu son préavis de rêve acheminé par une abeille diligente. Elles avaient longuement choisi leur parure. Chacune s’était maquillée, avait repassé ses pétales, affuté ses épines pour éloigner les gros bourdons casqués et castanérisés. Elles s’étaient parfumées pour accompagner le blues des blouses blanches, noires et bleues.

    On avait planqué les perturbateurs endocriniens qui avaient rejoint neuroleptiques et antidépresseurs au musée des horreurs libérales.

    On les avait toutes invitées pour n’en vexer aucune. Les pensées s’étaient libérées des IRM, des professeurs Tournesol et des petites lumières qu’elles allumaient dans l’hippocampe et sur l’aqueduc de Sylvius. On croisait des pensées profondes, des pensées obscènes, des pensées positives qui méditaient en position du lotus, des pensées uniques cachectiques, des pensées du jour en uniforme, drapées dans le drapeau bleu, blanc, rouge de Blanquer, des pensées obsédantes traitées par T.C.C, des pensées de Pascal et de Pierre Dac qui serinaient le discours sur la méthode ABA, des pensées envahissantes qui se faisaient du mouron, des pensées loufoques qui parlaient de transfert et d’écoute, des pensées morbides entourées d’immortelles et de pissenlits mangés par la racine, des pensées de Marc Aurèle et d’Orelsan, des pensées vagabondes qui descendaient le boulevard de l’hôpital. Elles braquaient le projecteur sur les nouveaux évangélisateurs, catéchumènes d’une psychiatrie enfin scientifique. De la dopamine pour les toxicos du cerveau ! De la noradrénaline pour les dopés du neurone ! Et un Centre expert pour tous !

    On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la  psychiatrie.

    Un parfum de printemps flottait sur la ville lumière qui sortait doucement des ténèbres. Prévert faisait le Jacques, Béranger arrosait la fleur qui lui pousse à l’intérieur, Brel apportait des bonbons. Et le chœur répondait : « Les fleurs sont périssables. Surtout lorsqu’elles sont en bouton mais l’idée de fleur, elle, est immortelle, comme le printemps, comme la révolte, comme le soin. ». Une sève nouvelle irriguait nos veines. On osait des métaphores inouïes. La partie se prenait pour le tout, et le tout défilait le poing levé.

    On avait invité les fleurs, toutes les fleurs. Les rimes masculines et les rimes féminines. Et même celles qui ne riment à rien. Les belles échappées qui sentent le retour à la maison après l’isolement, les modestes qui se planquent sous la mousse comme tant d’infirmières en réunion. Les belles de jour toujours et de nuit qu’on ne passera pas, les dames-d’onze-heures qui cherchent midi à quatorze heures et arpentent les trottoirs parsemés de fleurs qui poussent sur le fumier de la misère psychique. Fleurs de riches et fleurs de pauvres. Fleurs de béton, de canicule, de caillasse et de montagne que des jardiniers aux mains habiles protègent des désherbants. Orchidées aux friselis envoûtants. Fleurs de banquet vendues en tapis, en bouquet, en cascades qui célèbrent des unions où l’on se déchirera à belles dents avant d’aller consulter au CMP. Prévoir quelques mois d’attente, les psys se font rares.

    On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la  psychiatrie.

    Les fleurs en serre avaient décliné l’invitation. Mesurées, jaugées, évaluées, calibrées, certifiées, elles séchaient sur place exsangues comme une quelconque psychiatrie publique.

    La rose du petit prince n’en finissait plus de se préparer, lissant chacune de ses pétales tout en prenant garde au fondamental mouton de Panurge que ses épines n’effrayaient guère. Un peu.

    Un tapis de marguerites dessinait un anneau de Moebius en effeuillant l’Aimée de Lacan. Beaucoup.

    Un œillet flétri, rescapé de la révolution portugaise, décorait la boutonnière de l’illustre psychiatre inconnu qui avait vendu son âme à Lily, Sanofi et autre Otsuka. Passionnément. 

    Un parterre d’oseille attendait la raiponce des actionnaires et perdait patience. A la folibérale !

    Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

    A la folie ! Toast jamais porté.  

    Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

    On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la psychiatrie

    Les grévistes de la faim de Rouen, les blouses noires, les perchés du Havre, les secoués de serpsy, les zunifiés, les zupéhesses de partout, les 39 et les 40-12, l’appel des appels et les moins-un, ceux de Sud et ceux du Nord qui ne devaient rien à Céline, ceux de la CGT qui en avaient marre de végéter, les non-dupes et les autres, les fils conducteurs et les points de capiton, les psy causes et la criée, humapsy et la Fedex tout ceux-là et beaucoup d’autres manifestaient pour le printemps de la psychiatrie, pour un renouveau du soin psychique.

    Ils étaient tous là. Ceux qui dessinent un arc-en-ciel chaque fois que la pluie tombe sur la psychiatrie, ceux des boules de neige lancées sur les CRS, ceux qui entonnent des canons (à eau) chaque fois qu’un technocrate leur explique le soin, ceux qui persistent à se servir du nom-du-père quand l’époque se voue aux images, ceux qui gardent les portes ouvertes et se passent de windows, ceux qui vomissant Cortexte, Cariatide et Cimaise préférent raconter les soins sur une feuille d’assertion. Ils étaient tous là, les scribes et les interprètes, ceux qui musent et ceux qui habitent l’espace tonal. Et ça défilait, ça défilait.

    On avait invité les fleurs au grand bal du printemps de la psychiatrie.

    Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

    A la folie ! Toast jamais porté.  

    Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

    Le lierre, les ronces et la vigne vierge rêvaient d’envahir les chambres d’isolement qui ne serviraient plus à rien. Les chardons se bardagaient pour en interdire l’entrée.

    Le muguet agitait ses clochettes qui tintinnabulaient pour un premier mai festif.

    Les digitales avaient à cœur de montrer du doigt les économies de bouts de chandelle, les CDD courts qui rendent les équipes exsangues, les recommandations idéologiques de la haute autorité de santé.

    Sur ce fumier poussait le soleil, espoir de renouveau pour un soin psychique en attente de jardinier.

    Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

    A la folie ! Toast jamais porté.  

    Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

    Les roses blanches pour ma jolie maman désertaient les services de pédopsychiatrie envahis par des spectres. Ritaline et neuroleptiques, les sales  plantes chimiques, avaient remplacé les entretiens et les packs, les activités en tous genres qui fleurissaient au temps joyeux d’une clinique créative.

    En psychiatrie d’adulte, les gentils coquelicots mon âme devenaient deux trous rouges au côté droit malgré tous les  plans suicide édictés par le gouvernement. Des couronnes mortuaires saluaient les avancées de la psychiatrie scientifique.

    On avait invité les fleurs au grand bal  du printemps de la psychiatrie.

    Les azalées trop zélées pour zézayer un oui, les pivoines trop rouges, trop confuses, des bégonias oubliées sur les balcons de tristes HLM de banlieue, elles étaient toute venues. Jusqu’à l’oiseau de paradis qui se prenant pour un colibri tentait d’attiser l’incendie qui venait. 

    Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ! A la folie ! 

    A la folie ! Toast jamais porté.  

    Ni Dieu, ni maître et la folie pour compagne !

    « Dans un état de droit,  les fleurs c’est à la boutonnière, avait ricané le président. Des fleurs dans les rues ce n’est pas dans le protocole.

    -C’est égal, qu’on a répondu, la prochaine fois on invitera des fauves ! »

     

    Hirondelle

    Dominique du Printemps de la psychiatrie et de serpsy

     

  • Manifeste pour un Printemps de la Psychiatrie

    PRINTEMPS DE LA PSYCHIATRIE

    POUR UN RENOUVEAU DES SOINS PSYCHIQUES

    L'association Serpsy fait partie des organisations fondatrices du Printemps de la psychiatrie. Elle a contribué à organiser des rencontres débats, en PACA,au C.H. Montperrin, Montfavet et Valvert. Le confinement a mis fin à ces  échanges. Dès que le printemps reverdira nos coeurs, elles reprendront. 

    Manifeste

    La psychiatrie et la pédopsychiatrie n’en peuvent plus. Depuis déjà plusieurs décennies, ceux qui les font vivre ne cessent de dénoncer leur désagrégation et de lutter contre le déclin dramatique des façons d’accueillir et de soigner les personnes qui vivent au cours de leur existence une précarité psychique douloureuse. En vain le plus souvent. Ce qui est en crise, c’est notre hospitalité, l’attention primordiale accordée à chacun et à un soin psychique cousu-main, à rebours du traitement prêt-à-porter standardisé qui se veut toujours plus actuel. Les mouvements des hôpitaux du Rouvray, Le Havre, Amiens, Niort, Moisselles, Paris… ont su bousculer l’indifférence médiatique et rendre visible au plus grand nombre le chaos qui guette la psychiatrie. Pour percer le mur du silence, il n’aura fallu rien de moins qu’une grève de la faim …

    Devant cette régression organisée, nous nous engageons tous ensemble à soigner les institutions psychiatriques et à lutter contre ce qui perturbe leur fonctionnement. Patients, soignants, parents, personnes concernées de près ou de loin par la psychiatrie et la pédopsychiatrie, tous citoyens, nous sommes révoltés par cette régression de la psychiatrie qui doit cesser. Il s’agit pour nous de refonder et construire une discipline qui associe soin et respect des libertés individuelles et collectives.

    Contrairement à la tendance actuelle qui voudrait que la maladie mentale soit une maladie comme les autres, nous affirmons que la psychiatrie est une discipline qui n’est médicale qu’en partie. Elle peut et doit utiliser les ressources non seulement des sciences cognitives, mais également des sciences humaines, de la philosophie et de la psychanalyse, pour contribuer à un renouveau des soins axés sur la reconnaissance de la primauté du soin relationnel. Notre critique de ce qu’est devenue la psychiatrie ne peut faire l’impasse sur la responsabilité de ses gestionnaires.

    Les avancées de la recherche scientifique ne peuvent durablement être confisquées par des experts auto-proclamés dont les liens avec l’industrie pharmaceutique sont parfois suspects. Les savoirs scientifiques ne doivent pas servir d’alibi à des choix politiques qui réduisent les sujets à un flux à réguler pour une meilleure rentabilité économique. Nous sommes face à une véritable négation du sujet et de sa singularité, au profit de méthodes éducatives, sécuritaires ou exclusivement symptomatiques. Les interdits de pensée sont devenus la règle d’une discipline où l’on débat de moins en moins. La psyché humaine est tellement complexe qu’elle n’obéit à aucune causalité, simple et univoque, et se moque des réductions idéologiques. Toute approche privilégiant une réponse unidimensionnelle est nécessairement à côté. Nous récusons, dès lors, toute politique d’homogénéisation des pratiques. Une politique qui détruit la cohérence des équipes et instrumentalise la parole des patients fige la capacité d’inventer à force d’injonctions paradoxales, dans la nasse de discours sans épaisseur et mortifères.

    Aussi, si les budgets de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, sans cesse rognés depuis des années, doivent  être largement revalorisés, comme l’exigent toutes les mobilisations actuelles, c’est l’appauvrissement des relations au sein des lieux de soins qui est notre souci premier. La standardisation des pratiques protocolisées déshumanise les sujets, patients et soignants. Le recours massif aux CDD courts, le tarissement organisé de la formation continue, l’inadéquation des formations initiales qui privilégient cours magistraux et visionnages de DVD sans interactions entre les étudiants et leur formateur, contribuent à la désagrégation des équipes au sein desquelles le turn-over est de plus en plus important. La continuité des soins et la cohésion des équipes en sont durablement compromises. Nous devons opposer à cet état de fait la spécificité de la maladie psychique, qui sous-tend la nécessité d’une approche singulière et d’un travail spécifique d’équipes pluridisciplinaires en institution psychiatrique ainsi que dans le médico-social, et la co-construction d’alliances thérapeutiques fécondes avec les personnes accueillies. C’est tout le monde de la psy et des psys, en institution ou pas, qui est concerné.

    Nous voulons en finir avec l’augmentation continuelle du recours à l’isolement et à la contention, la contrainte doit cesser d’être la norme. Le droit des patients, hospitalisés ou non, est régulièrement ignoré, parfois volontairement bafoué. Cette violence institutionnelle, régulièrement dénoncée par la Commission Européenne des Droits de l’Homme,  touche en premier lieu les soignés, mais affecte aussi les soignants. La psychiatrie et le secteur médico-social doivent pouvoir s’appuyer sur des équipes stables avec des personnels non interchangeables quel que soit leur statut. Ils doivent pouvoir bénéficier d’un assise solide qui autorise la parole et propose de véritables évolutions de carrière.

    Au-delà du soin, nous voulons travailler à des accompagnements alternatifs, nouer des liens équilibrés avec les différentes associations qui œuvrent dans la cité. Nous voulons multiplier les lieux qui cultivent le sens de l’hospitalité avec un accueil digne et attentif aux singularités de chacun.

    Nous nous engageons à participer, organiser, soutenir tout débat, toute action ou mouvement cohérent avec ce manifeste, avec tous les professionnels, leurs syndicats, les collectifs, les associations de familles et d’usagers, et l’ensemble des citoyens qui souhaiteraient soutenir et développer une psychiatrie émancipatrice du sujet.

    Nous appelons à participer à la manifestation nationale du 22 janvier 2019 à Paris.

     

    Debout pour le Printemps de la psychiatrie !

     

    Fete