Billets de blog

  • Quand l'ordre infirmier rançonne légalement les infirmières

    Quand l’ordre infirmier rançonne légalement les IDE

    Les hôpitaux n’arrivent pas à recruter d’infirmières ; des unités voire des services entiers ferment, faute d’infirmières, que fait l’Ordre infirmier qui est censé les représenter ?

    Il mène des enquêtes pour tenter de comprendre les raisons de cette désaffection ? Il prend fait et cause pour elles ? Dénonce des conditions de travail parfois aliénantes, une gouvernance souvent aveugle qui les broie ?

    Non.

    Extrait d’un courrier envoyé par un collègue :

    « ‌Bonjour Dominique,

     

    Je reviens vers toi au sujet de l'Ordre infirmier qui, à ce jour, est monté de plusieurs niveaux pour mettre la pression sur les Infirmiers non-inscrits, notamment [dans notre établissement] où notre Directeur joue les relais de l'Ordre pour, à coups de rappels de menaces (convocation auprès du Procureur, par exemple), contraindre plutôt que convaincre ! »

    Le collègue me joint le courrier qu’il a reçu du directeur des Relations Sociales de son établissement :

    « Objet : Votre inscription à l’Ordre National Infirmier

    Madame, Monsieur,

    Votre attestation d’inscription à l’Ordre National Infirmier (ONI) n’a pas été enregistrée dans votre dossier administratif.

    • Soit vous êtes déjà inscrit à l’ONI, il vous suffit de vous connecter sur votre compte pour générer une attestation et l’adresser au Secrétariat de la Direction du Personnel et des Relations Sociales. Le N° d’inscription à l’Ordre Infirmier sera saisi dans votre dossier.

    • Soit vous n’avez pas encore procédé à votre inscription auprès de l’ONI. Vous pouvez effectuer votre inscription, par internet, sur le site de l’Ordre National Infirmier. Vous transmettrez votre attestation d’inscription au Secrétariat de la Direction du Personnel et des Relations Sociales dès réception.

    Pour tout questionnement ou difficultés d’inscription à l’ONI, vous pouvez contacter l’Ordre Infirmier de XXXXX par mail à l’adresse suivante : XXXXX@XXXXXX.

    Pour votre information, l’Ordre Infirmier a fait la démarche de signaler auprès du Procureur de la République la situation des professionnels exerçant au Centre Hospitalier de XXXXXX et non-inscrits à l’Ordre infirmier. Un délai a été octroyé par Mr le Procureur de la République pour permettre aux agents d’effectuer leurs démarches d’inscription auprès de l’ONI.

    Passé ce délai (début année 2024), le Procureur convoquera les agents n’ayant pas effectué leurs démarches. Des poursuites pourront être engagées. »

    Au secours ! Des poursuites vont être organisées par les Procureurs de la République contre les centaines de milliers d’infirmières qui ne sont pas inscrites à l’Ordre. Convoquer cent cinquante mille infirmières, ça va prendre du temps, avec leur rythme infernal, alors qu’elles ne suffisent pas à faire leur simple travail de présence et de soins auprès des patients. Les Procureurs de la République et leurs agents n’ont que ça à faire ? Avec les Jeux Olympiques de Paris, le terrorisme, la lutte contre la criminalité. Il est vrai que traquer l’infirmière c’est moins dangereux mais aussi … moins médiatique. Et pourtant des cohortes de blouses blanches se rendant à la convocation du Procureur ça ferait de belles images pour le 20 heures, coco !   

    Au début, je n’y croyais pas, je dois le reconnaître. C’est tellement gros.

    Et puis renseignements pris, c’est encore pire que ça.

    Un autre collègue, éducateur spécialisé, m’a écrit : « L'ONI use de drôles de moyen de pression. Étant peu informé sur le sujet, j'ai pris quelques renseignements auprès de mes collègues. Ce qu'il en ressort est qu'ils sont harcelés par des mails ou lettre de société de créance leur sommant de payer. Bien sûr en y ajoutant des frais ou amendes. Il s'agit d'infirmiers qui avait déjà été inscrit, quelques fois automatiquement, par l'Ifsi à la fin de leurs études et qui n'avaient pas payé leur cotisation par la suite. 

    Un infirmier de l'hôpital a eu un prélèvement sur son salaire de 500€, adhésion non payée plus amende. 

    En revanche, personne n'a eu de pression de la direction de l'hôpital, ni courrier, ni même remarque de la hiérarchie. »

     

    Les infirmières n’ont rien demandé. Près de 17 ans après sa création, l’Ordre ne les a toujours pas convaincues.

    Bien malin qui peut trouver les taux de participation infirmières aux élections de l’ordre sur le site de l’Ordre infirmier. Et pourtant s’agissant d’un organe qui se veut démocratique, la moindre des choses serait de le préciser. Comme si nous ignorions le taux de participation aux élections municipales, législatives ou présidentielles. Ce taux qui n’est pas la priorité des élus permet à chacun de faire des comparaisons, des analyses, de mesurer une évolution du corps électoral. A l’Ordre infirmier, c’est secret. L’ordre, en revanche, communique sur le taux de participation aux élections régionales et nationales : 80 % voire plus de votants, mais qui vote ? Les élus départementaux. Il ne manquerait plus que les élus s’abstiennent. On se demande même pourquoi ça ne fait pas 100 %.

    J’ai cherché donc.  

    Voici ce que j’ai trouvé :

    2008 : 13,83 % de participation. On nous expliquait alors que ce taux était bas parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’inscrits. Mais un pourcentage c’est un pourcentage, il n’y a pas de raisons de penser que l’accroissement du nombre d’inscrits augmenterait le pourcentage de votants.

    En 2008, ont voté :

    • 8,6 % de libérales,

    • 5,8 % d’infirmières exerçant dans le secteur privé,

    • 6,2 % d’infirmières issues du secteur Public (de loin les plus nombreuses).

     

    En 2014, 21,09 %. Youpi, ça augmente mais ça fait à peine une infirmière sur cinq.

    • Soit, 25,15 % de Libérales,

    • 18,79 % issues du secteur privé,

    • 18,09 % du secteur public.

    Les différents postes n’étant pas pourvus, un nouveau vote est organisé, on tombe à 19,47 %, avec 17 % de libérales, 15 % issues du privé et du public.

     

    En 2017, les chiffres cessent d’être disponibles, j’ai trouvé 10,4 % de votantes sur des sites infirmiers, mais les votes, par collèges, ne sont pas détaillés.

     

    En 2020, j’ai trouvé le chiffre de 4,99 % dans un texte du FNI, je ne peux affirmer s’il s’agit du chiffre total ou de celui des Libérales.

    En 2023, le chiffre ne serait pas encore disponible.

     

    J’ai utilisé une intelligence artificielle pour en savoir davantage, celle-ci m’a répondu : « Je suis désolé, mais je n’ai pas pu trouver les informations spécifiques sur le taux de participation des infirmières aux élections à l’Ordre infirmier en 2020 et 2023 par collèges. Cependant, je peux vous dire que les élections à l’Ordre des infirmiers ont lieu tous les trois ansChaque infirmier(ère), inscrit(e) au tableau de l’ordre est appelé(e) à voter1. Pour plus d’informations, je vous recommande de consulter le site officiel de l’Ordre National des Infirmiers 3. »

    Plutôt que de persécuter les infirmières, l’Ordre Infirmier ne ferait-il pas mieux de commencer par remplir ses obligations de transparence ?

     

    Quelle est la légitimité de cet ordre ? Peut-il réellement soutenir qu’il représente les infirmières alors qu’il cache les taux de participation aux élections ? Si les chiffres rapportés sont justes, quand on est élu avec quelques 5 % des voix, ne ferait-on pas mieux de faire preuve d’humilité ?

     

    Au fait, dans la Fonction publique Hospitalière, quel est le taux de participation aux élections professionnelles ? 43,7 % Autrement dit les mêmes infirmières qui ne votent pas pour l’ordre votent pour les élections professionnelles. Etonnant, non ?

     

     

     

    Dominique Friard

     

     

  • Loup y es-tu ?

    "Loup y es-tu ?"

    Vendredi 20 octobre à 20 heures, à l'initiative de l'UNAFAM et du Collectif local d'Organisation des SISM (Semaine d'Information en Santé Mentale), à l'Utopia d'Avignon, une séance exceptionnelle, en présence de Clara Bouffartigue, la réalisatrice de "Loup y es-tu ?"

    LOUP Y ES-TU ?, un film documentaire de Clara Bouffartigue, Bande-annonce - Bing video

    La rencontre/débat qui suivra la projection sera animée par Simone Molina, psychanalyste et présidente du Point de Capiton.

    De nombreuses associations soutiennent cette soirée : MDPH 84, Conseil Local de Santé Mentale, Isatis, Preuve et Serpsy. 

    Nous vous y attendons.  

    20 10 loup y es tu

     

  • La contention n'est pas un soin

    La contention n'est pas un soin

     

    Sur le blog de la revue Pratiques, une belle rencontre entre Olivia, Fred et Matthieu, fondateurs d'Humapsy, Jean Vignes et Matthieu Bellahsen autour de son livre "Abolir la contention", publié le 31 août 2023, aux Editions libertaria. Une analyse politique de la culture de la contention. Il y apparaît que l'Etat fait semblant de vouloir réglementer les pratiques coercitives par la loi mais les encourage de fait. Il y apparaît également que parfois, en psychiatrie, le soin ce sont les usagers qui en parlent le mieux. Hommage rendu aux pratiques d'accueil de Chinon et de Laragne, deux établissements qui ont en commun outre le refus de la contention et de l'isolement d'être de petits établissements, bien implantés dans leur terroir à des années lumières des GHT créés par la loi HPST. 

    https://www.facebook.com/100000144145697/posts/pfbid035FHB2zmYXhoheuSgJf8qN7YstAxXPggo6ngJ3uK4ryp8hA1bFRxJLeKMJiKBJz6ql/

  • Rencontres autour de François Tosquelles

    Rencontres autour de François Tosquelles « L’humanisme en psychiatrie : l’héritage de François Tosquelles »

    François TOSQUELLES, psychiatre et psychanalyste né en 1912 en Catalogne, naturalisé Français en 1947, est décédé en 1994 à Granges-sur-Lot (47) où il a vécu une vingtaine d’années. Il était l’un des principaux fondateurs de la psychothérapie institutionnelle. Les personnes en souffrance, les services de soins en psychiatrie, autant que le travail des soignants, tous ont pu bénéficier de son pragmatisme et de ses analyses dans ce domaine si complexe de la médecine de l’âme . Nous lui devons « une révolution psychiatrique ». Nous nous devons certainement de partager son travail à l’heure où l’on parle de la refondation du système de santé, tandis que la psychiatrie est en grande souffrance alors qu’elle accueille de plus en plus de personnes vulnérables . Ces journées proposent une approche décomplexée de la psychiatrie à destination du grand public (expositions, concert, ciné-débat, théâtre) et donnent la parole aux personnes concernées en écoutant leur savoir expérientiel et leurs propositions innovantes pour l’avenir de la psychiatrie lors d‘une journée de rencontre qui leur est consacrée.

    Programme des 3 journées : Programmes journees ft du 11 au 13 novprogrammes-journees-ft-du-11-au-13-nov.pdf (667.52 Ko)

     

    Du 11 au 13 novembre 2023

    Au Temple Sur Lot et à Granges Sur Lot

     

     

  • Plus on est de fous ...

    Chronique du XXIème siècle (suite)

    Plus on est de fous ...

    Le 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine chimique AZF de Toulouse détruisait le CHS Gérard Marchant situé dans sa proximité immédiate, propulsant les « psy » au premier rang des sauveteurs. Ce jour-là, les ISP (Infirmiers de Secteur Psychiatrique) étaient des infirmiers comme les autres …

    Ces chroniques du XXIème siècle, dont j’ai présenté la première récemment (« Tutoyer les étoiles »), n’étaient pas destinées à remplir une fonction d’éditorial au sein de la revue Santé Mentale où elles ont été initialement publiées. L’idée qui m’animait était de commenter l’actualité au fil des mois, avec un regard de soignant. Avec la légitimité d’un soignant de psychiatrie, d’un infirmier. Un regard disciplinaire.

    Le soin en psychiatrie pouvait-il contribuer à éclairer l’époque ? Les sciences infirmières (ou sciences du soin) étaient bien loin d’avoir acquis un statut et encore moins une légitimité universitaire ou médiatique. Ma première satisfaction a été de montrer, mois après mois, que c’était possible. Difficile mais possible.

    L’actualité ne m’aida pas. Il est vrai que ce n’est pas son rôle. La première chronique fut donc dédiée à Josiane Bonnet. L’évocation de sa mémoire me permit de lui rendre hommage, de montrer, presque dix ans après la suppression du diplôme d’ISP (en mars 1992) qu’il était possible à une soignante issue des soins somatiques et à un de ces ISP déclassés de penser ensemble le soin dans des termes exigeants qui amenait chacun à tenter de tutoyer les étoiles.  Avec la suppression du diplôme d’ISP, a été promue une sorte de pensée du soin au rabais, plus technicienne et protocolaire que philosophique, théorique ou clinique. Avec bien sûr des exceptions, rarement mises en avant. Josiane fut une clinicienne exigeante, que ce soit en tant que soignante, enseignante ou traductrice. Je n’y reviendrai pas. La première chronique n’en fut pas moins suscitée par sa mort.  

    Pour la deuxième, ce fut bien pire encore. Le 11 septembre 2001, quatre attentats-suicides furent perpétrés le même jour aux Etats-Unis et provoquèrent la mort de 2977 personnes à Manhattan à New-York, à Arlington en Virginie et à Shanksville en Pennsylvanie. Je ne reviendrai pas plus sur cet évènement qui marqua durablement le début du XXIème siècle. Ses effets sont encore perceptibles plus de 20 ans après. C’est dans ce contexte que dix jours plus tard, le 21 septembre 2001, l’usine AZF de Toulouse explosait. Dans l’usine de production d’engrais azotés située en zone urbanisée, un stock de 300 à 400 tonnes de nitrate d’ammonium explose à 10 h 17, entraînant la mort de trente et une personnes et faisant deux mille cinq cents blessés et de lourds dégâts matériels. On pense immédiatement à un attentat terroriste.  

    L’explosion a creusé un cratère de forme ovale de 70 mètres de long et 40 m de largeur, et de 5 à 6 m de profondeur. La détonation est entendue à plus de 80 km de Toulouse. Un séisme de magnitude 3,4 est enregistré. Dans la partie sud-ouest de la ville, les dégâts sont considérables. Le site de l’usine AZF lui-même est dévasté. Les zones commerciales de Darty et Brossette sont totalement détruites. Cent cinquante bus de la SEMVAT (la société de transport public toulousain de l’époque) sont également détruits dans leur entrepôt situé en face de l’usine. De très nombreux logements, plusieurs entreprises et quelques équipements (piscines, gymnase, salles de concert, lycée Déodat-de-Séverac) sont touchés. Les dégâts (murs lézardés, portes et fenêtres enfoncées, toitures et panneaux soufflés ou envolés, vitres brisées, etc.) sont visibles jusqu’au centre-ville. Parmi les établissements publics touchés, on peut citer le Grand Palais des Sports, l’Ecole nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques, le Bikini (salle de spectacles), le lycée Gallieni et le Centre hospitalier Gérard Marchant.

    Lorsqu’une heure après l’explosion, j’arrive à Toulouse pour animer un groupe de travail sur l’écriture infirmière au Centre Hospitalier Gérard Marchant, j’ai l’impression de traverser un paysage de fin du monde : rues désertes, bâtiments effondrés, voitures abandonnées sur la chaussée, portes ouvertes. A l’hôpital même, il n’est évidemment pas question d’écriture et de recherche. Tous sont en mode survie. Les bâtiments sont dangereux et menacent de s’effondrer. Les patients ont tous été évacués des unités. Les 367 patients hospitalisés sont rassemblés sur un pré. Je me joins aux soignants qui les encadrent, rassurent, occupent, soignent jusqu’à leur départ pour des hôpitaux susceptibles de les accueillir. Comme tout un chacun, j’en suis évidemment marqué.

    Une semaine plus tard, j’écris cette chronique qui prend la forme d’une lettre à Jean-Luc Roelandt et Éric Piel. Éric et Jean-Luc, tous deux psychiatres, ont publié, en juillet 2001, un rapport de mission ministériel intitulé « De la psychiatrie vers la Santé Mentale ». Dans ce rapport de 86 pages qui dresse un état des lieux de la santé mentale en France, ils relèvent que la politique de sectorisation n’a pas été menée à son terme, que l’obligation de soins est devenue obsolète, que logique de soins et logique pénale s’opposent. Le rapport dresse aussi un bilan et des propositions sur les professionnels de santé mentale, psychiatres et infirmiers en évoquant (déjà !) le malaise ressenti par les professionnels de la psychiatrie. Les formations sont inadaptées aux évolutions sociales et aux pratiques, la pratique de recherche n’est pas coordonnée et est inféodée aux laboratoires, les praticiens hospitaliers ont des statuts trop diversifiés, la répartition professionnelle est inadaptée aux besoins de la population (déplacer les soignants des lieux d’hospitalisation vers la cité). Ce rapport très controversé propose de réfléchir sur les droits de l’homme qui sont inaliénables, y compris pour les personnes atteintes de troubles psychiques. Justice et psychiatrie, enfermement et soins ne doivent pas être confondus. La politique de secteur doit être poursuivie et entraîner la fermeture des lieux d’exclusion médicaux et sociaux. C’est à la société et aux services de s’adapter aux usagers et non le contraire. La lutte contre la stigmatisation dont sont victimes les personnes souffrant de troubles psychiques doit être une priorité. Les deux auteurs proposent un certain nombre de changements : favoriser la parole et le pouvoir des usagers, développer des structures dans la cité, créer un « réseau territorial de santé mentale », définir un plan décennal de fermeture des hôpitaux psychiatriques et mettre en place un plan national de redéfinition des moyens.

    Mon choix de leur écrire à propos de l’explosion d’AZF et de la destruction de Gérard Marchant est une manifestation d’un humour très noir.

    Toulouse, le 27 septembre 2001

    Cher Éric, Cher Jean-Luc,[1]

    Vous l’avez rêvé, AZF l’a fait…[2]

    Le Centre Hospitalier Gérard Marchant est ainsi le premier établissement psychiatrique fermé. Nous aurions pu penser que cette nouvelle politique susciterait des réactions, que les pétitions de riverains affolés par le retour des fous dans la cité se multiplieraient, que les médias libérateurs se feraient les propagandistes de la Grande Peur.

    Rien. Au début.

    Le CH Gérard Marchant a été détruit, ses patients ont été répartis dans les établissements de la région toulousaine sans que cela ne suscite la moindre inquiétude, le moindre problème. Ils y ont même été très bien accueillis.

    On peut, certes, discuter de la manière. Vous n’avez à aucun moment recommandé la destruction des H.P. au nitrate d’ammonium, surtout avec les patients et les soignants à l’intérieur. On aurait pu craindre que des esprits chagrins s’emparent de l’affaire et dénoncent cette atteinte aux droits de l’homme. Mais après tout, c’est bien parce que l’hôpital était dans le quartier de la ville où était implanté l’usine chimique qu’il a été détruit. C’est cela le secteur. C’est cela la réinsertion.

    Quand il y a urgence, on se serre les coudes. C’est après que cela se gâte.

    Sur place, à Marchant, le vendredi, les soignants se disaient que la destruction d’un H.P. avec ses patients à l’intérieur était un non-événement. Rivés à leur radio pour tenter de comprendre ce qui se passait, ils avaient la sensation d’être oubliés, exclus du monde.[3] La colère grondait. Réactions psychotraumatiques évidemment. Chacun voit le malheur de sa porte et pense être seul face à l’événement. Terrible époque que la nôtre où l’on considère que pour être crédible, vécue, une catastrophe doit passer à la télévision ! Comme si sans ce sceau, on n’était pas sûr d’avoir vécu ce que l’on a vécu.

    Il y a tout de même des mots qui font mal, rétrospectivement. C’est une chose d’être hospitalisé et de travailler dans un établissement situé près d’une usine qui fabrique des produits dangereux, c’en est une autre d’apprendre que l’hôpital est situé dans une zone classée « Seveso ». Le choc des mots. C’est le moment où l’on se vit comme quantité négligeable, comme de la chair à explosifs. C’est le moment où l’on repense à ce qu’écrivait Foucault à propos des léproseries. Comme si les représentations des fous et de la folie n’avaient pas changé au cours des siècles. Comme si la folie et ceux qui l’accompagnent renvoyaient toujours à la souillure, comme s’il fallait encore et toujours s’en protéger. Comme s’il fallait parler d’hôpital Seveso, de soignants Seveso, de patients Seveso.

    Et pourtant.

    Il faudrait raconter la première détonation, la boule de feu, l’univers qui déflagre, les murs qui se disjoignent, la peur, la mort qui irrupte dans un jour jusque-là tranquille. Il faudrait parler de l’effroi. L’effroi, oui, sans adjectif, sans rien pour l’accommoder, pour l’apprivoiser. L’effroi qui traverse la conscience et les tripes de chacun. Ce temps du blanc, du vide qui sidère.

    Je ne le ferai pas. J’ai entendu tant de récits. J’ai trop accompagné ces paroles fragiles qui essaient de décrire l’indescriptible pour en faire ce qui ne serait qu’une parodie.

    Il faudrait raconter le souci immédiat des patients.

    Laurence, Bertrand et Dominique travaillaient au SAU. A peine le temps d’aller voir les patients isolés que les premiers blessés, des collègues en formation arrivaient. Panique. Et puis rapidement, les premiers ouvriers de l’usine AZF. Laurence et Bertrand sont ISP, Dominique est une IDE polyvalente comme on dit aujourd’hui. Ce sont elles, et elles seules, d’abord, qui ont porté les premiers secours à ceux qui arrivaient sur des portes, brancards improvisés, ou dans des voitures dans lesquels on avait déposé les blessés. Du sang, partout du sang. Le verre comme incrusté dans la chair. Le verre qui lacère les vêtements. Le verre qui empêche d’apprécier la gravité des blessures.

    Trier très vite. Evaluer qui est en état de choc psychotraumatique, qui est blessé sérieusement. Préparer le travail des pompiers qui ne vont pas tarder. Poser des perfusions pour ménager des apports veineux. Elles n’étaient que des infirmières psy, interdites d’hôpital général. Elles n’avaient pas le droit de porter ces premiers secours. Elles ne savaient pas si ces premiers gestes qu’elles croyaient ne pas maîtriser étaient les bons. N’empêche que ce sont ces parias des soins qui furent la première assistance aux blessés. N’empêche qu’elles sauvèrent là de nombreuses vies. Très vite, des infirmiers et des médecins arrivèrent de tout l’hôpital pour les seconder. C’est de cet hôpital improvisé que partirent les blessés vers les services de chirurgie : « Chez ces 800 blessés pris en charge dans l’extrême urgence, il n’y a eu aucun décès » rapportait un médecin du CHU de Purpan.

    Laurence, Bertrand et Dominique ne s’épancheront pas devant une caméra ou un micro. Elles n’ont fait que leur devoir. Un devoir difficile qui perturbe leur nuit. Ce n’est plus du burn-out, c’est du traumatisme psychique.

    Laurence, Bertrand et Dominique et leurs collègues ont montré qu’un hôpital psychiatrique c’était d’abord un hôpital. Mais ça, personne n’en veut rien savoir. Ce jour-là, une ISP, c’était une infirmière comme les autres.

    Hôpital Seveso, soignants Seveso, patients Seveso même combat.

    Depuis le vendredi noir, les soignants de tous les secteurs vont rencontrer chacun des patients répartis en catastrophe sur une trentaine de cliniques et d’hôpitaux différents dans un rayon de 110 km. Certains se sont mis à disposition sur place. Ils se rendent également dans le service de psychiatrie et de gériatrie du CHU toulousain. Ils s’y relaient quotidiennement auprès de leurs collègues. Témoignage de Marie : « Nous prenons donc le temps chaque jour de papoter d'abord de choses insignifiantes, de la pluie du beau temps. Puis viennent les questions sur Marchant et tout ce qu'on y a laissé, puis tous ceux qu'on aimait bien ... silences ... On règle les histoires de sous ou de cigarettes, de planning ou de salaire .... silences ... Alors on peut en venir aux choses sérieuses : soi. Comment ça va dans la tête et dans le cœur ? Qu'ils soient soignés ou soignants c'est à peu près chaque jour le même scénario. Ils se sentent tous tristes et douloureux, désemparés et isolés pour la plupart, déchirés et explosés pour certains, littéralement paumés pour ceux qui ont aussi perdu leur appartement. Mais les uns comme les autres s'organisent et se mobilisent. Tous proposent des idées. Chacun fait son chemin. 

    Ce mercredi après-midi donc, Jean-Louis est en service avec Katia. Jean-Louis est un vieux machin comme moi, de cette race d'ISP en voie d'extinction. Katia, elle, est IDE. C'est du moins ainsi que l'infirmière générale du CHU les a distingués. Pour autant, tous les deux, au milieu des collègues de là-bas, ils font une chouette paire. Ils s'entendent bien, se complètent, ils sont appréciés et intégrés par l'ensemble de l'équipe.

    Cet après-midi, pourtant, Jean-Louis a été remercié par l'infirmière générale car il était ISP. Elle voulait nous faire croire que la loi nous empêche d'exercer dans son service de gériatrie. A peine si nous aurions été tolérés dans son service de psychiatrie. »[4]

    Hôpital Seveso, soignants Seveso, patients Seveso. Pas de ça chez nous ! Dehors les ISP ! Les soignants se sont pour une fois rebiffés. Direction, chefs de service et infirmiers du CH Marchant ont été solidaires. Les chefs de service et les équipes concernées du CHU même se sont jointes aux protestations. La peur de la folie a dû reculer, plier et rompre.

    L’hôpital Gérard Marchant n’existe plus mais les pratiques d’exclusion ont la peau dure. Au CHU, ce n’étaient pas les soignants de terrain qui en étaient les acteurs de ce rejet mais l’administration éclairée, une de ces infirmières générales dont le seul talent est d’être péremptoire. Ce n’est pas en fabriquant des protocoles qui enferment la réalité dans des moules que l’on favorise l’adaptation aux événements.

    Cher Éric, cher Jean-Luc, tout cela ne me rend pas très optimiste. Il ne suffit pas de fermer les hôpitaux psychiatriques pour changer les pratiques. Aussi longtemps que l’on fabriquera des patients Seveso et des soignants Seveso la peur archaïque prospérera et interdira tout progrès.

    Vous me trouverez peut-être cynique. Je pense l’être moins que ceux qui ont construit, maintenu, développé, encouragé une poudrière à proximité d’un hôpital.

    Cordialement,

    Dominique Friard, ISP


    [1] Lettre adressée à Éric Piel et Jean-Luc Rœlandt auteurs du rapport “ De la psychiatrie vers la Santé mentale ”, juillet 2001.

    [2] Le vendredi 21 septembre 2001, l’explosion de l’usine chimique AZF (appartenant au groupe TotalFina Elf) et située à proximité du CHS Marchant à Toulouse a provoqué des dégâts considérables et nécessité l’évacuation de l’hôpital.

    [3] Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, et pourtant médecin, est venu le jour même, dans les locaux d’AZF mais ne s’est pas déplacé au Centre Hospitalier Gérard Marchant, pourtant situé en face. Les soignants se sont sentis trahis, moins considérés encore que les populations somaliennes auxquelles le même ministre avait apporté du riz sous l’œil gourmand des caméras. Il est vrai qu’à Marchant il n’y avait pas de journalistes. Les soignants ne le lui ont jamais pardonné.

    [4] Rajablat (M), Message sur le forum Serpsy, qui rend compte au jour le jour de la situation de la psychiatrie en Haute Garonne. Un grand merci également à Patrick Guiraudon, qui continue jour après jour à envoyer des messages de la CUMP malgré des journées et des nuits harassantes.

  • Les infirmières spécialistes cliniques : une filière privée de statut

    Les infirmières spécialistes cliniques :
    une filière privée de statut

    Le terme d’infirmière clinicienne apparaît aux États-Unis en 1943. Il décrit une pratique infirmière spécialisée. Hildegarde E. Peplau crée le premier programme orienté sur la santé mentale et la psychiatrie en 1954 à l’Université Rutgers, dans l’État du New Jersey[1]. Christophe Debout, précise que l’appui du gouvernement fédéral fut essentiel au développement de ces programmes : « Les universités reçurent des subventions afin de de favoriser la formation infirmière post-diplôme et des bourses d’études furent accordées aux étudiants. En 1997, on comptait ainsi 306 programmes de mastère. Cependant aucun programme de formation unique ne fut promulgué, laissant toute liberté aux universités. »[2]

    L’American Nurse Association (ANA) définit l’infirmière spécialiste clinique comme une « experte clinique qui dispense des soins directs aux patients (examen clinique, intervention de promotion de la santé, actions de prévention, prise en charge de problèmes de santé chroniques d’un domaine de pratique infirmier spécialisé). L’ISC assure la promotion de la qualité des soins infirmiers grâce à des actions d’éducation, de consultation, de recherche et en s’inscrivant en agent de changement au sein du système de santé »[3].

    La parenté avec les infirmières cliniciennes de pratique avancée apparaît ici évidente.

    L’émergence de la filière clinique en France date du début des années 1980. Rosette Poletti, de retour des États-Unis, comprend tout l’intérêt de cette nouvelle fonction et en informe ses collègues françaises. Elle est à l’initiative des premières formations à l’École d’enseignement supérieur infirmier de la Croix Rouge suisse (ESEI Lausanne). Elle met ensuite en place, en Suisse francophone, une filière globale qui s’articule autour de trois niveaux :

    • niveau 1 : infirmière clinicienne (certificat) ;

    • niveau 2 : infirmière spécialiste clinique (diplôme équivalant à celui de cadre) ;

    • niveau 3 : infirmière consultante (Master délivré par l’Université Webster, à Genève).

    Une reconnaissance statutaire est rapidement accordée aux professionnelles issues de cette filière par les autorités suisses. On mesure encore une fois l’écart avec la France même si sur ce coup-là, les politiques n’en portent pas seuls, la responsabilité.

    À la même époque, le ministère de la Santé français et l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris mènent une réflexion sur l’intérêt de développer une filière clinique en France. Elles organisent plusieurs réunions. Suzanne Dupuis, Josiane Bonnet[4], Marie-Thérèse Balcraquin[5], Evelyne Malaquin-Pavan[6], Martine Nectoux[7] … pionnières de la filière, participent à ces groupes de travail. La Société Française des Infirmières Cliniciennes (SFIC) est créée dans la foulée.[8]

    Le Ministère semble plutôt favorable. Catherine Duboys-Fresney[9] et Georgette Perrin, infirmières conseillères techniques à la Direction des hôpitaux et Michèle Bressand[10], conseillère auprès du ministre, déploieront toute leur énergie pour faire aboutir ce projet, soutenu également par l’ANFIIDE.[11]

    Malheureusement, écrit diplomatiquement Debout, les divergences de la profession sur le positionnement de l’infirmière clinicienne au sein du système de santé français ne permettront pas de finaliser cet accord.[12]

    Désaccord de fond, sensitivité à fleur de peau, rapports de pouvoir ou conflits de personnes, cette belle mobilisation a accouché de deux instituts de formation privés qui se sont fait une sévère concurrence : l’ULESI et ISIS. Marie-Thérèse Balcraquin crée l’Université Libre Européenne de Soins Infirmiers qui fonctionne jusqu’à sa découverte des constellations familiales et ne forme aujourd’hui plus d’infirmières cliniciennes. Au passage, elle dépose l’appellation « infirmière clinicienne » et interdit, de fait, à tout professionnel issu d’un autre organisme que le sien de se prévaloir du titre.

    En 1990, Monique Fadier[13], Marie-José Véga[14], Catherine Duboys-Freiney, Josiane Bonnet, Rosette Poletti et Jean-François Negri élaborent un programme d’infirmière clinicienne qui reprend les trois niveaux définies dans la filière suisse. L’institut en Soins Infirmiers Supérieurs est porté sur les fonts baptismaux par J. Bonnet et J-F Negri. Il va former des milliers d’infirmières spécialistes cliniques (et non pas cliniciennes donc). Ce cursus étant ouvert à tous les infirmiers, de nombreux infirmiers de secteur psychiatrique l’emprunteront avant d’investir les maîtrises des années 90, c’est par exemple le cas d’Anne-Marie Leyreloup.

    Pour y être intervenu, je peux témoigner de l’ouverture de l’organisme et de l’ambiance à la fois studieuse et réflexive qui y régnait. La personnalité de Josiane Bonnet y était pour beaucoup. Cadre-infirmier, consultante clinique, titulaire d’une maîtrise en consultation et recherche en soins infirmiers de la Webster University, directrice pédagogique d’ISIS, Josiane possédait un humour ravageur qui en faisait une conférencière écoutée. Elle avait co-écrit un ouvrage sur le burn-out [15], dirigé la traduction française de l’ouvrage de Jean Watson « Le caring : philosophie et science des soins infirmiers »[16] qui permit aux infirmières françaises de découvrir le care. Elle avait une conception large de la discipline, aux antipodes du corporatisme étroit que nous avons souvent rencontré en cours de route. Les aspects somatiques, psychiques, culturels et sociaux pouvaient, dans son esprit et sa pratique, cohabiter harmonieusement au sein d’une discipline non pas centrée sur les infirmières mais sur le soin.

    On peut se demander pourquoi la mobilisation des cliniciennes ne s’est pas traduite par une formation universitaire qui aurait ouvert les portes à un troisième cycle. C. Debout le regrettait :

    "Si les programmes français n’ont pas le statut académique accordé par nombre de nos collègues européens, canadiens ou américains, ils sont élaborés en réponse à des problématique de santé publique, spécifiques à notre pays et aux attentes des professionnels infirmiers. Il est toutefois à déplorer que leur évolution soit entravée par le manque de reconnaissance statutaire. Compte tenu du nombre de cliniciennes qui ne cesse de croître –environ 2000 aujourd’hui – et des résultats positifs observés dans les nombreuses expériences engagées sur le terrain, il serait opportun que la filière clinique obtienne une reconnaissance quels que soient ses modes d’exercice (cliniciennes, spécialistes cliniques, stomathérapeutes, etc.)"[17].

    De nombreuses infirmières cliniciennes cherchent, aujourd’hui, reconnaissance et statut du côté des I.P.A. C’est sûrement une bonne chose pour les pratiques avancées.

     

     

    Dominique Friard


    [1].   On mesure encore une fois que la psychiatrie et les infirmiers qui y travaillent, pour peu qu’ils ne soient pas stigmatisés, comme en France, peuvent faire figure de pionnier. H.E. Peplau en est un brillant exemple.

    [2].   C. Debout, « Pratique avancée et filière clinique infirmière », Soins, n° 684, avril 2004, p. 39-41.

    [3].   American Nurses Association, Nursing : a social policy statement, Kansas City, 1980.

    [4] BONNET (J), Concepts et théories de soins infirmiers, Lamarre, Paris, 1997.

    [5] Marie-Thérèse BAL-CRAQUIN est Maître en Programmation Neuro-Linguistique, formée en Psychanalyse, Relaxation analytique, Analyse Transactionnelle, Gestalt, Thérapie systémique des familles, Psychologie Transpersonnelle, Approche Rationnelle Émotionnelle, se référant à l’approche transmise par Christiane SINGER, elle anime des séminaires de Constellations depuis 20 ans.

    [6] MALAQUIN-PAVAN (E), JOUTEAU-NEVES (C) (dir.), L’infirmier(e) et les soins palliatifs Prendre soin : éthique et pratiques. Elzevier-Masson, Paris, 2013. On peut noter que nombre de ces pionnières étaient issus des soins palliatifs.

    [7] NECTOUX (M), Prendre soin. Les acteurs des soins infirmiers dans l’essor des soins palliatifs, in SALLAMAGNE (M-H), THOMINET (P), Accompagner trente ans de soins palliatifs en France. Editions Demopolis, Paris, 2016. Tout comme P. Svandra, M. Nectoux s’est pris le Sida en pleine face. Sa carrière en a été bouleversée.

    [8] DEBOUT (C), Pratique avancée et filière clinique infirmière, op. cit., p.41.

    [9] DUBOYS-FRESNEY (C), PERRIN (G), Le métier d’infirmière en France, PUF, Paris, 2017.

    [10] BRESSAND (M), Infirmière. La passion de l’hôpital, Ed Robert Laffont, Paris, 2006.

    [11] Association Nationale des Infirmières et Infirmiers Diplômes et Etudiants. Au moment où il écrit C. Debout en est le président.

    [12] DEBOUT (C), Pratique avancée et filière clinique infirmière, op. cit., p.41.

    [13] FADIER (M), GAMBRELLE (G), Vous avez dit mobilité ? Etude sur la mobilité professionnelle des infirmières à l’assistance publique. AP-HP : Université de Paris 09, Paris, 1994.

    [14] VEGA (M-J), Le temps de l’urgence et l’urgence du temps, in Soins, n°664, avril 2002, Masson, p. 24-26.

    [15] BRISSETTE (L), ARCAND (M), BONNET (J), Soigner sans s’épuiser, Gaëtan Morin Editeur, Paris, 1998.

    [16] WATSON (J), Le caring : philosophie et science des soins infirmiers, trad. BONNET (J) (dir.), WAINGNIER (C), CAAS (L), Edition Seli Arslan, Paris, 1998.

    [17] DEBOUT (C), Pratique avancée et filière clinique infirmière, op. cit., p.41.

     

  • Tutoyer les étoiles !

    Chroniques du 21ème siècle

    En 2001, dans la revue Santé Mentale, j’ai eu l’idée d’écrire des chroniques inspirées par l’actualité mais du point de vue d’un soignant. Malheureusement, la première chronique eu pour thème le décès de Josiane Bonnet. Comme peu de soignants la connaissent aujourd’hui, c’est l’occasion d’honorer sa mémoire.   

    Tutoyer les étoiles !

    “ Alors, j’ai eu un coup de cœur. ”

    C’était à Toulouse (31), je crois. Un de ces congrès où l’on glose à l’infini sur les diagnostics infirmiers. On avait délégué un tailleur strict pour les présenter. Le vaillant petit tailleur avait été parfait, comme toujours. C’est étonnant cette volonté de certains organisateurs de congrès à faire défendre les théories anglo-saxonnes par des professionnels qui ne s’habitent pas, qui ne s’impliquent pas. Il faudrait des pasionaria, des femmes qui vibrent, des tribuns qui argumentent pied à pied. Des hommes et des femmes aussi lisses et interchangeables que des technocrates tentent de convaincre notre raison que l’on ne peut pas soigner sans Résumé de Soins Infirmiers.

    C’était donc à Toulouse. Je faisais partie des intervenants. J’avais dû interpréter un de mes grands succès : “ L’observance médicamenteuse ” que j’ai chanté jusque dans les maisons de retraite de Saint-Maur des Fossés (94). Je m’ennuyais un petit peu. Comme infirmier, je suis plutôt du genre hard rock et là c’était de la musique de chambre.

    Le speaker annonça :

    “ And now Josiane Bonnet ! ”

    Les applaudissements crépitèrent. 

     

    « Alors, j’ai eu un coup de cœur ! »

    Un vrai. L’argumentaire était banal. Il s’agissait peut-être d’un monologue sur la démarche de soin. Peu importe le contenu à qui a du talent. Il existe des gens qui vous rendraient intelligent rien qu’en vous lisant le décret de compétence infirmière revu et virgulé par le CEFIEC. Josiane faisait partie de ces gens-là. Je la revois, le micro à la main, rétroprojecteur allumé. Elle avait quelque chose d’Annie Fratellini. Une lueur dans le regard, comme si elle ne prenait pas réellement au sérieux les grandes étapes de la démarche de soin. En bandes dessinées. Je vous promets. Elle nous l’a fait en bandes dessinées ! Nos rires ont ponctué son exposé jusqu’à son terme. Mais il en est resté quelque chose. L’humour. La distance.

    C’est peu de dire que quelque chose en elle m’a séduit. Pas la démarche de soins. Non ! Mais sa capacité à se détacher de la sorte de théorie qu’elle avait en charge d’enseigner. Comme si elle nous disait : N’écoutez pas ce que je raconte, l’essentiel est ailleurs. Comme si reprenant les mots de Charcot, elle affirmait encore et encore que la théorie, ça n’empêche pas d’exister et surtout de chercher.

    “ J’ai hissé le ciel à ma voile. ”

    Nous nous sommes revus, pas si souvent que je l’aurais souhaité. Nous avancions en parallèle, chacun dans notre champ. Autour du stand de « Santé Mentale », au salon de « L’infirmière Magazine », nous refaisions inlassablement un soin à notre mesure. Entre le mécréant et la dubitative, entre celle qui cherchait inlassablement une théorie de soins qui aurait pu contenir sa générosité, son écoute de l’autre et le sceptique qui refusait le prêt à soigner, entre le psy et la soin générale des passerelles naissaient. Nous avions hissé le ciel à notre voile et égrenions dans notre course folle des concepts aussi vite soupesés que posés. Nous nous sommes tournés autour, nous nous sommes reniflés, testés, toisés, jaugés, mesurés. Nous nous sommes affrontés parfois mais toujours l’humour, le respect affleuraient. « Santé Mentale » et ce que la revue représente nous rassemblait. Nous nous sommes rapprochés encore lors des journées organisées en 1996 par ISIS (Institut en Soins Infirmiers Supérieurs) : « La violence dans les soins ». Nous partagions les mêmes indignations. Nous avions les mêmes exigences.

    « Je suis partie pour un ailleurs »

    Un jour, elle m’a invité dans le Saint des Saints. Enseignante, responsable pédagogique, elle formait les conseillères de santé, les spécialistes cliniques. J’ai reçu cette proposition comme si elle m’invitait à partager un rare moment d’intimité. Je ne sais plus quels frères hébergeaient ISIS. Le lieu avait quelque chose de vétuste. Il sentait la poussière, le bois vieilli. Comme une école communale. J’imaginais Florence Nightingale y discutant avec Léonie Chaptal. Il régnait une atmosphère d’émerveillement que l’on ne retrouve plus dans les universités où l’on ne sait plus que bachoter. Mais notre hussarde des soins, mêlant le fond et la forme, distillait ses questions, amenait les étudiants à se remettre en question, à leur rythme. Ce fut un grand moment. Censé amener le groupe à travailler sur la question de la violence, je ne réussis pas en douze heures d’intervention à dépasser le stade des présentations ; chacun avait mûri la problématique, les réflexions ; les interventions surgissaient de partout. J’y entendis un des plus jolis exposés de ma carrière sur la contention à l’hôpital général. Il y avait une rigueur et un humanisme dans ce travail dont plus d’un ISP aurait pu s’inspirer. Le travail réalisé par une spécialiste clinique qui faisait partie d’une équipe de soins palliatifs me montra, s’il en avait été besoin, combien les deux disciplines pouvaient gagner à réfléchir de concert. Ce fut un pur moment de bonheur que le groupe et Josiane me donnèrent.

    « Je veux tutoyer les étoiles »

    Nous avions plein de projets en tête, notamment celui de publier les Actes des Journées ISIS. Nous avions commencé en écrivant pour la revue « Soins » un article sur la violence. Nous aurions pu tutoyer les étoiles, si un jour le crabe, la sale bête, n’avait posé ses maigres pattes sur Josiane. C’est au retour du Salon de L’infirmière Magazine qu’elle sentit les premières atteintes de son mal. Qu’importe sa localisation, un terrible combat commença pour elle et pour les amis qui restèrent à ses côtés. C’est dans les coups durs que l’on peut compter ses amis. Être atteint d’une maladie grave pour un soignant c’est presque de l’ordre de la transgression. Comme si notre statut d’infirmier(e) devait nous protéger. Mais non, nous sommes mortels, comme chaque être humain. Pas de passe-droit. Il y a là quelque chose d’insupportable pour certains soignants. Les relations s’éloignent, ne restent plus que ceux qui espèrent encore et toujours, que ceux qui frèrent et soeurent envers et contre tout. J’en connais qui donnent des leçons et qui ne sont que de minables petits escrocs du cœur (des du four et au moulin). Petites combines, petits écrits, petits sentiments. Pas la peine de les nommer, ils se reconnaîtront. Il en est d’autres qui se révèlent, qui abandonnent blouses et tailleurs et laissent vibrer leur âme.

    Josiane ne se contenta pas de se battre contre sa maladie, pied à pied, malgré les rejets, malgré les espoirs constamment déçus, elle en fit un objet d’observation, d’étude. Elle remit, là, en cause autour des explications que donnaient ou non les médecins, autour de ses lectures, autour des échanges avec les soignantes l’ensemble de ses savoirs d’infirmière. A travers les actions et les réactions des soignantes vis-à-vis d’elle, elle interrogea l’infirmière qu’elle était, les soins telle qu’elle les pensait. Dans notre numéro sur la question de la spécialité, elle avait créé le personnage profondément jubilatoire de Jean Bave, un détective à la Philipp Marlowe qui enquêtait sur ceux « dont la souffrance refuse de rentrer dans les petites cases pré-étiquetées genre « maladies des boyaux du corps » d’un côté, et « maladies des boyaux de la tête » de l’autre ! »[1]

    Dans ce texte, elle se définit à partir d’une double casquette : « celle d’une vieille infirmière, toujours passionnée par les soins, et qui s’est bagarrée pendant plus de quinze ans pour le développement et la reconnaissance d’une filière clinique infirmière en France ; et celle d’une usager de soins qui expérimente au quotidien depuis ces deux années les richesses et les failles de notre système de santé ... ! C’est aussi un domaine d’expertise ! »[2]

    Certaines situation de soins sont plus complexes que d’autres en ce sens que les fils qui en tissent la trame sont particulièrement nombreux et enchevêtrés. « Pour aborder ce genre de situations, il faut plus de connaissances conceptuelles, plus de compétences techniques, plus d’habiletés relationnelles, une panoplie d’interventions plus large, et puis aussi probablement plus de maturité émotionnelle. »[3]

    Et si les belles constructions théoriques anglo-saxonnes l’ont beaucoup fait rêver, elle expliquait aussi que : « Toute personne confrontée à une maladie somatique grave et à la prise de conscience de sa propre finitude va mettre en place quantité de mécanismes de défense, devra pour donner du sens à cette expérience, la réinterroger à la lumière de toute une trajectoire de vie. Il lui faudra tenter de ne pas se laisser submerger par l’angoisse, faire avec les modifications de son corps, avec les changements dans l’exercice de ses différents rôles, accepter les répercussions de sa maladie dans son système familial, renoncer à de plus en plus de choses jusqu’à souvent sa propre vie tout en restant pleinement vivante jusqu’au bout. ... Cette personne aura bien sûr besoin de toute une batterie d’interventions techniques hautement spécialisées, mais elle aura besoin tout autant d’un accompagnement qui exige de la part du soignant un haut niveau d’expertise relationnelle et une grande maturité émotionnelle. »[4] Je connais quelques I.P.A qui devraient s’inspirer de ses phrases. En devenant I.P.A, ils semblent avoir perdu toute polyvalence et ne s’aventureraient pas à écouter, accompagner autrement que dans un registre biomédical. Pour ça, diraient-ils, il y a l’IPA en santé Mentale.   

    Jamais, non, jamais elle n’a renoncé. Elle est restée pleinement vivante jusqu’au bout. Chaque fois que nous rencontrions, en live ou au téléphone, cette question des soins revenait dans nos échanges. Elle partait de son vécu et l’interrogeait. Elle tutoyait les étoiles, quelque chose de l’ordre de sa théorie de soin à elle était en germe. J’aurai tant aimé qu’elle l’écrive, qu’elle en transmette quelque chose. Son exigence pour le soin, elle l’a portée jusque dans la maladie.

    Elle tutoyait les étoiles

    J’ai demandé à Chat GPT qui était Josiane Bonnet. Comme il ne la connaissais guère, en dehors de ses deux ouvrages, je me suis dit qu’il serait bien de la lui présenter même si l’avant-propos de mon ouvrage « Epistémologie du soin infirmier » lui est consacré.[5]  

    Cadre-infirmier, consultante clinique, titulaire d’une maîtrise en consultation et recherche en soins infirmiers de la Webster University, directrice pédagogique d’ISIS, Josiane possédait un humour ravageur qui en faisait une conférencière écoutée. Elle avait co-écrit un ouvrage sur le burn-out [6], dirigé la traduction française de l’ouvrage de Jean Watson « Le caring : philosophie et science des soins infirmiers »[7] qui permit aux infirmières françaises de découvrir le care. Elle avait une conception large de la discipline, aux antipodes du corporatisme étroit que nous avons souvent rencontré en cours de route. Les aspects somatiques, psychiques, culturels et sociaux pouvaient, dans son esprit et sa pratique, cohabiter harmonieusement au sein d’une discipline non pas centrée sur les infirmières mais sur le soin. Nous nous rencontrâmes, une dernière fois, en 2001, sous l’égide de la revue Santé Mentale, lors d’un entretien croisé proposé par la directrice de publication.[8] Nous nous sommes retrouvés autour du micro de Catherine Talbot-Lengelé, la secrétaire de rédaction pour une discussion/rêverie sur la clinique infirmière publiée dans le dossier « Recherche clinique désespérément ». Ce fut un grand moment que l’entretien publié ne rend qu’imparfaitement. Où sont les éclats de rire ?

    Je ne dirais pas que nous étions amis, nous nous sommes probablement rencontrés trop tard. Nous étions collègues, simplement collègues, confrères même si nous n’appartenons pas à une profession libérale. Confrère et sœur en clinique.

    Josiane/Jean Bave conclut en faisant le constat qu’il n’aurait jamais imaginé « que pour soigner un quidam agité du bocal ou rongé par le crabe, il faille autant de savoirs et d’expertise ... Si un jour, il m’arrivait de devoir faire un petit séjour chez les blouses blanches, j’aimerais que ceux ou celles qui prendront soin de moi ne soient pas des coincés du bulbe, des asséchés du cœur, ou de simples resserreurs de boulons ! »

    Quelques jours après sa mort, je recevais ces quelques mots, signés Josiane :

    “ Alors, j’ai eu un coup de cœur

    J’ai hissé le ciel à ma voile.

    Je suis partie pour un ailleurs

    Je veux tutoyer les étoiles ... ”

    Que Sainte Nightingale nous préserve d’être des coincés du bulbe, des asséchés du cœur ou de simples resserreurs de boulon ! Merci Josiane !

    Dominique Friard.


    [1] BONNET (J), BAVE (J), « A qui profite le crime ? », in La question de la spécialité, Santé Mentale, n° 48, mai 2000, pp.37-41.

    [2] Ibid.

    [3] Ibid.

    [4] Ibid.

    [5] Friard D., Epistémologie du soin infirmier. De la blouse blanche à la toge universitaire, Editions Seli Arslan, Paris, 2021.

    [6] BRISSETTE (L), ARCAND (M), BONNET (J), Soigner sans s’épuiser, Gaëtan Morin Editeur, Paris, 1998.

    [7] WATSON (J), Le caring : philosophie et science des soins infirmiers, trad. BONNET (J) (dir.), WAINGNIER (C), CAAS (L), Edition Seli Arslan, Paris, 1998.

    [8] BONNET (J), FRIARD (D), Etre en recherche permanente, Entretien, in Santé Mentale, n° 55, Février 2001, p. 25-30.

  • Quelques réflexions sur la recherche en soins

    Quelques réflexions sur la recherche en soins

    A partir d'un commentaire de l'ami Stéphane Tregouet

     « Pas sûr que la recherche infirmière, aujourd'hui, fasse avancer la question du soin et des pratiques … La discipline universitaire des sciences infirmières est portée par des soignants venant d’autres disciplines universitaires ... Il faudra du temps pour que les chercheurs en sciences infirmières arrivent et produisent de la connaissance ... Qui connaît aujourd'hui les travaux de Jean-Paul Lanquetin sur le socle care qui ont plus de 10 ans ou de cet infirmier sur l’utilisation d’un ballon pour éviter la contention en pédopsychiatre (recherche depuis plus de 20 ans) … »

     

    Stéphane Tregouet, cadre de santé à Muzillac, sur LinkedIn, en réponse à un message récent présentant quelques travaux de recherche réalisé par des infirmiers travaillant en psychiatrie écrivait : « Pas sûr que la recherche infirmière, aujourd'hui, fasse avancer la question du soin et des pratiques … La discipline universitaire des sciences infirmières est portée par des soignants venant d’autres disciplines universitaires ... Il faudra du temps pour que les chercheurs en sciences infirmières arrivent et produisent de la connaissance ... Qui connaît aujourd'hui les travaux de Jean-Paul Lanquetin sur le socle care qui ont plus de 10 ans ou de cet infirmier sur l’utilisation d’un ballon pour éviter la contention en pédopsychiatre (recherche depuis plus de 20 ans) … » Avant le moindre commentaire, réjouissons-nous qu’un site comme Infirmier.com mette l’accent sur la recherche en soins en psychiatrie, il n'est pas si fréquent que des sites infirmiers généralistes s’y intéressent. [1] Savourons également que leur partage sur un réseau social professionnel permette aux chercheurs et à Stéphane en particulier, d’articuler d’importantes questions sur la discipline du soin.

    Les « échanges » sur les réseaux sociaux sont nécessairement brefs et elliptiques. Ils ne permettent pas réellement de développer une pensée et de l’argumenter. La rapidité et l’intensité des échanges créent, parfois, les conditions d’une escalade symétrique qui amène les uns ou les autres à se traiter de noms d’oiseaux et à ne plus s’écouter. Ecrire, répondre, commenter serait stérile si dans cet exercice contraint ne se glissaient quelques fulgurances, quelques à-peu-près, quelques morceaux de concepts qui éclairent le soin et les façons qu’ont certains de ses praticiens de le penser. Se dégagent ainsi, avec les limites décrites, des occasions de conceptualiser nos pratiques professionnelles et leurs développements contemporains.

    Le commentaire de Stéphane m’a paru tellement juste qu’il m’a semblé indispensable de cheminer avec lui autour de la recherche et de son impact sur les soins infirmiers quotidiens. Je me sentais d’autant plus concerné que je connais et échange régulièrement avec la plupart des chercheurs présentés par l’article d’Infirmier.com. Ma réflexion s’articulera autour de trois temps forts : l’invisibilisation de la recherche en soins (infirmiers) particulièrement en psychiatrie, une recherche portée par des chercheurs extérieurs au champ (soin et psychiatrie) et la lente pénétration des travaux sur le terrain.

    Peut-on, lorsque l’on est infirmier en psychiatrie, s’abstraire, en tout ou partie, des théories et pratiques issues du champ du soin somatique et de la condition infirmière en général ? Je ne le pense pas. Le soin en psychiatrie et les outils conceptuels qui permettent de le penser sont de moins en moins travaillés en formation initiale, et bien souvent ceux qui les présentent ne sont pas issus du champ. L’écrasante majorité des infirmiers qui travaillent, aujourd’hui, en psychiatrie est issue de ce creuset. Il n’existe aucune autre formation reconnue au soin en psychiatrie en dehors de la deuxième année du diplôme d’Etat des I.P.A. pour ceux qui bénéficient de l’option « Psychiatrie santé mentale » et cet enseignement est davantage centré sur l’aspect biomédical que soignant. On n’y apprend pas à animer et à penser une activité de médiation, on ne s’y forme pas à l’entretien pas plus qu’à la supervision d’équipes, on n’y enseigne comment contenir, par sa seule qualité de présence, un patient débordé par l’angoisse. Les grands courants qui ont marqué la pensée de la psychiatrie n’y sont, souvent, pas présentés.   

    Nous sommes des « cousins de province »[2] avec des références théoriques très différentes de nos consœurs somaticiennes mais nous n’en sommes pas moins de la famille. Pour l’écrire autrement : « Moins reconnus encore que leurs consœurs diplômées d’Etat, les infirmiers de secteur psychiatrique (ISP) ont avancé aussi, parfois de concert, mais le plus souvent en parallèle. Leurs travaux remisés dans un monde souterrain, forcément clos sur lui-même, n’étaient pas repris par leurs consœurs somaticiennes, comme si ce monde dont on ne voulait rien savoir n’existait pas ou plus. Or, comment faire « sciences infirmières » si l’on ignore les travaux qui naissent du contact avec un tiers des patients hospitalisés ? Comment décrire le soin si l’on se détourne de tous ceux qui se préoccupent de l’esprit « malade » ? Comment imaginer que les troubles de la personnalité ne retentissent pas, d’une façon ou d’une autre sur le corps malade et le sujet ? Que serait une science du soin qui ne se préoccuperait que des réactions somatiques ou comportementales à un problème de santé, sans prendre en compte la subjectivité du patient, ni celle du soignant ? »[3]

    Le commentaire de Stéphane aborde bien cet ensemble de questions même si en tant qu’infirmiers de psychiatrie, nous sommes confrontés à un manque de reconnaissance qui diffère de celui auquel sont soumis psychiatres, psychologues, art-thérapeutes, ergothérapeutes ou psychomotriciens. Le concept « d’intersectionnalité »[4] permet, dans une certaine mesure, sinon de régler cette contradiction, du moins de prendre en compte le cumul : femme, infirmière, psychiatrie. Je partirai donc d’abord des difficultés rencontrées dans la recherche en soins issue du champ somatique avant d’aller vers celles qui sont spécifiques aux infirmiers en psychiatrie.   

     

    L'invisibilisation de la recherche en soin

     

    Il n'est effectivement pas sûr que la recherche fasse avancer le soin et les pratiques. Aujourd'hui comme hier. Je me souviens de ces travaux des années 90 portant sur les escarres, les chutes ou la contention des personnes âgées. Aucune ne relevait directement de la psychiatrie. Chaque équipe de chercheurs avançait ses pions, au niveau local, sans se soucier de ce que d’autres équipes avaient produit et surtout sans s’en inspirer. Les analyses de la littérature étaient rares sinon exceptionnelles. Le soin n'en sortait pas grandi et les escarres se creusaient, les patients tombaient ou étaient attachés derechef, sauf à un niveau étroitement local. Le changement, quand il y en avait un, se manifestait à l’échelle du service, de l’unité. Pour les patients qui en bénéficiaient, cela faisait certes une différence. De taille.

     

    Des travaux non reconnus par ceux-là même qui les ont entrepris

     

    La plupart de ces travaux étaient invisibilisés. Pas totalement puisque j'ai eu l'occasion d'en lire certains ou d'entendre leur présentation (par exemple, il y a 25 ans, lors d'une matinée de réflexion réalisée par l'Institut ISIS -Institut de Soins Infirmiers Supérieurs- dans le cadre de la formation de spécialistes cliniques ; j'ai oublié le nom de l'infirmière qui présentait un fort bon travail sur la contention des personnes âgées, elle se prénommait Fleur et avait intégré à sa réflexion une analyse de la littérature qui donnait de la valeur à son travail). Mais pour un que je lisais ou entendais, combien restaient dans l'ombre ? Ma fonction de rédacteur-en-chef adjoint des revues Soins Psychiatrie puis Santé Mentale implique que je sois à l’affût des différentes publications issues du champ depuis presque trente ans. Que j’ai lu ou entendu parler d’une recherche n'implique en rien qu’elle ait été disponible, lue et critiquée par des soignants.  

    Ils n'étaient pas publiés pour plusieurs raisons. Leurs auteurs, confrontés à une pratique insatisfaisante, inefficace ou peu éthique, créaient les conditions pour la modifier. Leur projet de recherche s’arrêtait là. Il ne s’agissait pas de publier.  Le progrès durait aussi longtemps que les soignants qui avaient effectué la recherche travaillait dans l'unité puis était oublié, petit à petit, et la routine reprenait le dessus. Parfois, exceptionnellement, quelque chose d'un savoir-faire commun persistait, indépendamment des personnes présentes et se transmettait. Légitime du point de vue des maîtres d’œuvre, ce silence ne peut que nous désoler sur un plan disciplinaire. L’habitus de ces infirmières n’intégrait pas une pensée « méta » du soin qui repose sur la conceptualisation d’une pratique et la publication d’écrits. Pour ces chercheurs qui se refusaient de se reconnaître comme tels, ce sont les médecins qui publient, pas les infirmières.  

    Chercher ne suffit pas, il faut faire savoir ce que l'on a trouvé, la méthode que l'on a employée, le chemin par lequel on est passé ; que chacun puisse s'en inspirer, critiquer, avancer à partir de ce qui serait un patrimoine commun. La recherche implique toujours une phase de conceptualisation, d’écriture (rédaction), et enfin de publication que tous les soignants ne pratiquent pas (manque de temps, d'intérêt, de disponibilité intellectuelle ou psychique, humilité mal placée, méconnaissance des méthodes, représentations sociales associant médecine et recherche, etc., les raisons ne manquent pas). Il faut aussi avoir une vision disciplinaire du soin. Le soin est un champ et chacun peut (doit ?) y contribuer à partir de ses réflexions, de ses travaux.

    L. Jovic, IDE, titulaire d’un doctorat en sociologie, une des maîtres d’œuvre de l’ouvrage de l’ARSI dédié aux concepts en sciences infirmières, décrit bien l’écart entre une pratique professionnelle et une réflexion de type universitaire : « Un certain nombre d’enseignements dans des formations à visée professionnelle [donc IDE ou IPA] pâtissent d’une inexpérience relative dans le maniement de modèles et de théories applicables à leur champ d’exercice. La formation d’infirmière est concernée par ce constat, et bien que variant grandement d’un pays à l’autre, il peut s’appliquer dans de nombreux contextes nationaux. Les infirmières font appel à des théories lorsqu’elles doivent prendre des décisions concernant les soins à dispenser. Elles se servent de nombreux concepts (autonomie, dépendance, soin, adaptation …) mais en se fondant plutôt sur une idée de leur sens et de leur portée dans les activités de soins. Ce qui manque généralement c’est l’analyse rigoureuse et systématique des concepts qui est indispensable pour prodiguer des soins qui correspondent aux besoins des patients. »[5]

     

    Des revues ouvertes qu’il faut connaître

     

    Pour autant que je sache, les revues de soin ne sont pas fermées aux écrits des chercheurs, ni des cliniciens infirmiers. Aucun des textes que j'ai proposés n'a été refusé par une revue (Objectif Soins, Soins, Soins Cadres, Soins Psychiatrie, Recherche en Soins Infirmiers, Santé Mentale, VST, L'infirmière Magazine, L'Empan, etc.). Elles semblent même plutôt demandeuses. Bien sûr, il y a des règles à respecter. La plupart des revues présentent des dossiers qui rassemblent des textes autour d'une thématique centrale : L'Education Thérapeutique du Patient, Le délire, Les escarres, Les patients-experts, Les IPA, L'impact de la mort sur les professionnels de santé, Pour une meilleure prise en charge de la douleur, etc. Si le texte présenté recoupe la thématique, c'est facile : pour peu que le texte tienne la route, il a toutes les chances d'être publié. Il faut bien sûr, être vigilant, quant aux thématiques proposées : si la revue a consacré un dossier à l'ETP deux ou trois mois plus tôt, vous n’aurez aucune chance que votre texte sur l’éducation thérapeutique soit publié. Pour les revues sans dossier central (Recherche en Soins Infirmiers par exemple) c'est encore plus facile. Attention, chaque revue a ses priorités, son lectorat, son créneau pourrait-on dire. « V.S.T. » (Vie Sociale et Traitement), après avoir accueilli les tous premiers écrits d’infirmiers en psychiatrie dès les années cinquante, est actuellement plus ouverte aux travailleurs sociaux engagés qu'aux soignants ce qui ne l’empêche pas de publier des articles sur les visites à domicile, les médiations thérapeutiques, etc. Ainsi toujours, la Revue Santé Mentale publie peu de textes de recherche et quasiment aucun issu du champ somatique. Proposer un texte de recherche sur une question somatique à cette revue, c'est courir le risque d'avoir un refus. En revanche, la revue Recherche en Soins Infirmiers publie quasi exclusivement des travaux de recherche, proposez donc votre travail. Attention, le Comité de lecture y est très exigeant, l'ARSI proposant des formations à la recherche en soins depuis sa création, la plupart des soignants chercheurs ont été formés par l’association. Les revues couvrent l'ensemble du champ du soin (et au-delà). Avant de proposer un texte à telle ou telle revue, il convient de bien connaître sa place et son positionnement dans le paysage du soin et de la recherche. C'est un réflexe de chercheur. Il convient également de se soucier du lecteur, de son confort de lecture. Rien de plus assommant pour qui lit peu (comme les infirmiers) qu’un texte statistique ou purement méthodologique.

    On m’objectera, en partie à raison, que le fait que je sois rédacteur-en-chef adjoint d’une revue facilite la publication de mes textes (au moins dans cette revue). Ce serait oublier qu’avant d’occuper cette fonction, j’ai publié des textes, et que c’est la pertinence de ces textes qui m’a permis d’intégrer le comité de rédaction de Soins psychiatrie. Il convient aussi de se souvenir que les revues ne font pas partie du service public mais sont des entreprises et donc en tant que telles sont soumises à une recherche de rentabilité. Les abonnements et les achats de numéros dédiés à un thème fabriquent autant le contenu d’une revue que les choix du Comité de lecture. Qu’un dossier sur l’éthique du soin ne se vende pas et la revue hésitera à consacrer un nouveau dossier à cette thématique.

    Sur un plan plus personnel, pourquoi proposer un article à une revue qu’on ne lit pas ? Publier un article dans une revue fait partie intégrante d’une stratégie de recherche, et au fond peu importe la revue pourvu qu’elle soit connue, reconnue et lue. La question de l’impact factor vient après. Le premier texte que j’ai publié l’a été dans la revue Objectif Soins.[6] J’en ai été ravi, d’autant plus qu’il s’agissait d’une revue plutôt repérée dans la champ somatique. Je ne lisais pas cette revue, connaissais peu son contenu et les débats qui l’agitaient. Il en allait, au fond, de même pour les publications dans la revue Profession infirmière[7] même si notre recherche a obtenu le prix décerné par cette revue, aujourd’hui disparue. La joie la plus grande fut celle que nous éprouvâmes à publier dans VST[8], une revue consacrée par le temps, qui avait accueilli les premiers écrits d’infirmiers en psychiatrie, une revue que nous lisions tous. Enfin last but not least, nous vécûmes la publication de notre recherche dans un dossier complet de Soins psychiatrie comme une véritable consécration.[9] A cette époque, c’était notre revue de référence. Nos maîtres y écrivaient régulièrement, certains étaient membres du Comité de rédaction. Ces neuf articles publiés en 1995 dans six revues différentes furent un des points d’orgue d’un travail débuté trois ans plus tôt. Publier oui, mais dans une revue que l’on connaît et reconnaît, qui mobilise chez le chercheur quelques affects. Une revue dont a cité quelques articles, par exemple, une revue qui nous situe dans une généalogie.

     

    Une deuxième invisibilisation

     

    Il ne suffit pas, effectivement, que le texte soit publié, il faut qu'il soit lu. Combien d'infirmiers sont abonnés à une revue de soins ? Plus ce nombre est faible et moins un texte a de chance d'être lu et commenté. Nous sommes confrontés, là, à un deuxième type d'invisibilité : celui qui vient des acteurs du champ eux-mêmes, c'est de loin le plus préoccupant. Que de jeunes infirmiers qui sortent de l’IFSI ne lisent pas ou peu d’articles professionnels c'est embêtant (en ce qui me concerne, c'est tragique). Ils finiront peut-être par s'y mettre pour peu que la sociabilité professionnelle passe par la lecture. Dans un service, comme certaines unités de soins palliatifs, où les livres et les revues sont présents, où les soignants sont invités à lire et à parler de leurs lectures, il n'y a pas de quoi être inquiet, les travaux cliniques et de recherche chemineront. Mais combien de services mettent des bibliothèques plus ou moins achalandées à la disposition des soignants ? Combien de soignants auraient le temps et le désir d’ouvrir une revue pour mieux connaître une problématique rencontrée avec un patient ? La non-lecture la plus préoccupante ne vient pas des jeunes infirmiers (bien qu'ils incarnent l'avenir de la profession et du champ), c'est celle des infirmiers compétents, performants ou experts.[10] Actuellement, les infirmiers passent d’un service à un autre, parfois du jour au lendemain. Des soignants considérés comme interchangeables n’ont guère le temps ou l’opportunité de s’intéresser à une discipline ou sous-discipline qu’ils ne font que traverser. Le turn-over incessant des soignants les transforme en « petits mains » que l’on peut affecter le lundi dans un service et le mardi dans un autre. Dans ces conditions, il apparaît difficile de constituer un savoir disciplinaire.  Leur référence est le protocole ou la prescription médicale. Un infirmier en poste depuis trois ans fait, ici ou là, figure d’ancien.  C’est particulièrement préoccupant pour des disciplines telles que la rééducation, la psychiatrie (pédopsychiatrie, psychiatrie d’adultes), les soins palliatifs, la pédiatrie et la gériatrie qui supposent un corpus de connaissances, issues du soin (care), peu ou pas transmis à l’IFSI.  Le terrain offre ainsi peu de modèles identificatoires aux infirmiers.

    Parmi ces infirmiers, condamnés à une forme de vagabondage professionnel, certains feront la formation d'IPA. Si les critères d’accès à l’IFCS sont relativement clairs et transparents, il n’en va pas de même pour la formation I.P.A, ce qui illustre qu’elle n’est pas réellement investie par de nombreux établissements. Au lieu d'arriver à l'université avec un bagage culturel inscrit au sein du soin, ils arrivent avec une expérience pratique parfois brève qui pour certains s'est bornée à suivre les prescriptions médicales. Certains vont s'épanouir, découvrir un champ d'une richesse infinie et se demanderont comment ils ont pu passer à travers. Leur enthousiasme fait plaisir à voir. Ils sont parfois maladroits mais leur joie, leur volonté de découverte compensent largement leurs à-peu-près. D'autres en resteront à une lecture strictement biomédicale, à base de données probantes (Evidence Based Nursing ou EBM), qui leur est proposée dans certaines universités où les infirmiers (cliniciens ou chercheurs) n’interviennent pas ou peu. Leur mémoire de fin d’études est parfois d'une très grande pauvreté, renforcée encore par les préconisations de certaines universités qui leur demandent à la fois d’effectuer un travail de recherche clinique et de présenter les stratégies d'implantation des IPA. En une cinquantaine de pages on ne peut faire bien ni l'un, ni l'autre. Leurs bibliographies ignorent bien souvent les écrits des cliniciens (donc les vôtres) ; les outils qui leur sont indiqués (Medline, Science Direct, Cochrane, …) ne leur permettent pas d'identifier les écrits des cliniciens français qui y sont peu ou pas indexés. Ils sont peu invités à lire et à critiquer. J'ai ainsi en tête, un mémoire d'IPA portant sur la chambre d'isolement qui ignorait la quasi-totalité des écrits soignants sur la thématique. L'auteur était condamné à rester dans le registre des généralités faute d'avoir lu les dizaines d'articles, voire d'ouvrages dédiés à la question. Certains IPA ont suivi le cursus du master clinique proposé par P. Svandra et M. Saint-Etienne à Sainte-Anne et Saint Quentin-en Yveline. Ils ne cherchent souvent qu’un statut qui leur était jusqu’ici refusé. Ils sont a priori davantage pétris de cette culture du soin que nous appelons de nos vœux. Pour ne pas rester sur une note négative saluons également l’initiative de Benoît Chalancon qui a créé au Vinatier, à Lyon, un groupe de bibliographie qui allie les deux démarches (scientifique et clinique) et lutte contre ces différentes formes d’invisibilité de la recherche.[11] Le groupe de bibliographie du Vinatier : outil destiné aux paramédicaux pour développer une culture recherche - Centre Hospitalier Le Vinatier (ch-le-vinatier.fr)

     

    Une troisième forme d’invisibilisation

     

    La troisième type d'invisibilité est l'œuvre du monde médical et des autres disciplines du soin. Il est exceptionnel qu'un infirmier soit cité par un médecin ou par un psychologue. Ce silence ne tient pas seulement aux piètres qualités des travaux effectués par les soignants. Après tout, le niveau général des thèses de médecine a lui aussi terriblement baissé. Les médecins ne lisent pas ou peu les revues de soin, même s’ils y écrivent volontiers, et certains estimeraient s'abaisser à les citer. Il m'est ainsi arrivé d'être « pompé » dans un article de l’Encéphale par un médecin qui ne voyait pas pourquoi il aurait dû citer un infirmier, un personnel au fond subalterne. Rappelons que dans sa thèse[12], Philippe Paumelle désigne les soignants par une simple initiale même quand il reconnaît que ces soignants ont été à l'origine de la suppression des quartiers d'agités, ce qu'il ne fait pas pour ses collègues médecins. La visibilité de la recherche en soins est aussi une question politique (une forme de lutte des classes) qui oppose des médecins « hommes », « universitaires » et des infirmières « femmes » qui n’ont accès, au mieux, qu’à des grades[13], un produit du patriarcat sur lequel nous reviendrons. Il s'agit évidemment d'une tendance générale, certains médecins citent leur source et se tiennent au courant des différentes publications à l'intérieur du champ psychiatrique, voire au-delà pour certains. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point aussi. Nous verrons que de nombreux chercheurs issus d’autres champs disciplinaires ignorent tout aussi superbement la littérature infirmière. Certains universitaires ne voient en nous que des objets d’études, qu’un terrain où faire leurs preuves et pour ceux-là le terrain ne pense, ni n’écrit.   

    Le dernier type d’invisibilité, qui est probablement la matrice des trois autres, est une invisibilisation sociale. Les infirmiers et infirmières sont des femmes. Le soin leur est naturel, c’est une vocation. Elles n’ont donc pas besoin de formation sophistiquée, elles ne sauraient écrire des articles de recherche. Nous avons vu que parfois, infirmiers et infirmières ont intégré la représentation et se détachent de la lecture et de l’écriture d’articles professionnels, cliniques ou de recherche. Leurs travaux ne méritent donc pas d’être médiatisés. On les prend pour des « précieuses ridicules ». Lorsqu’elles sont interviewées dans les médias elles en sont réduites à l’émotionnel. Quant à la psychiatrie, comment pourrait-on faire de la recherche auprès d’une population (les fous) qui ne peut pas être soignée et qu’il faut garder enfermée[14] ?

    Donc oui, Stéphane a raison, la recherche infirmière a peu de chance de permettre au soin d'avancer. Il est certain que nommer la discipline « Sciences infirmières » plutôt que sciences du soin n'aide pas.[15] S'il existe des facteurs extérieurs trop rapidement présentés ici, la raison première à cette invisibilisation est d'abord notre propre méconnaissance des travaux issus de notre champ. Ainsi que l’écrivait Sartre : « L’important n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu’on a fait de nous. »[16]

     

    Une recherche portée par des soignants extérieurs au champ ?

     

    Stéphane, lui-même inscrit en thèse dans une autre discipline, enchaîne ensuite : « La discipline universitaire des sciences infirmières est portée par des soignants venant d'autres champs. »

    Convenons d’abord que l’intégration universitaire de sciences dites infirmières est récente (30 octobre 2019).  Si « l’infirmerie » a obtenu droit de cité au sein de l’université, cette reconnaissance est toute fraîche et n’a pas eu encore le temps de produire des effets au sein de la profession infirmière. Les premières thèses commençant seulement à être soutenues, il est donc difficile de trouver des chercheurs issus directement de la discipline. La formation IPA, bien que naviguant un étage en dessous (une formation professionnelle effectuée à l’université mais de grade master), a également été confrontée à cet obstacle.

    Bien avant cette intégration, d’autres chercheurs avaient identifié, avec Thérèse Lanriec, que le soin renvoyait à des savoirs spécifiques qui méritaient une reconnaissance universitaire.[17] De nombreux soignants ont ainsi emprunté les chemins du troisième cycle bien avant l’universitarisation. Faute de discipline repérée, ils ont soutenu des thèses de psychologie (A-M Pronost[18] et beaucoup d’autres devenus psychologues), de sociologie (C. Beauvue-Fougeyrollas[19], M. Jaeger[20], C. Mercadier[21], L. Jovic), de droit médical (J-M Jamet[22]), de philosophie (P. Svandra[23], C. Pacific[24], …), de sciences de l’éducation (C. Eymard[25], J-M Revillot[26]), d’histoire (M. Poisson[27], B. Villeneuve), etc., etc. Nous ne saurions être exhaustifs en cette matière. Certains sont partis au Canada (P. Delmas[28], B. Villeneuve[29]) pour y suivre un cycle doctoral. Ces infirmiers docteurs sont, ensuite, restés dans le soin et y ont occupé des fonctions d’encadrement, d’autres ont investi le champ de la formation, de l’enseignement (en formation initiale, de cadre ou universitaire) et d’autres enfin ont quitté le soin et investi leur discipline d’accueil (sociologie, psychologie[30]). Aucun statut n’étant associé au titre de docteur, chaque infirmier taillait sa route à la machette ou affichait son diplôme dans ses toilettes.

     

    Des parcours de nomades

     

    Faute de discipline pour les recevoir, tous les soignants qui sont passés par l’université se sont mués en « nomades » passant d’un champ disciplinaire à un autre ; ainsi, pour prendre un exemple, suis-je passé d’une maîtrise de santé mentale, à un DEA de droit médical avant d’être doctorant en épistémologie clinique comparative. « Les infirmières motivées par un doctorat ont toutes dû faire un « pas de côté » par rapport à leurs objets de recherche pour tenir compte des sections de qualification qui leur ouvrait leurs portes. »[31]

    Qu’entend-on par discipline scientifique ?

    Différents auteurs en ont proposé une définition : Popper[32], Kuhn[33] et beaucoup d’autres. A. Maingain et al., qui œuvrent dans un contexte de formation, définissent la discipline « comme une approche des présupposés, des savoirs (connaissances, compétences) construits et standardisés, par une communauté scientifique qui, d’une part se reconnaît comme telle, d’autre part est reconnue comme telle, par la société. »[34]

    Cherchant à construire des îlots interdisciplinaires de rationalité, ces auteurs s’appuient sur la transdisciplinarité, autrement dit sur la capacité de faire appel à des concepts, à des modèles théoriques, à des méthodes, à des techniques issus de contextes disciplinaires distincts. Les sciences dites infirmières qui n’ont pas encore élaboré de concepts qui leur appartiennent en propre, se réfèrent à des concepts issus d’autres domaines (concepts nomades). L’interdisciplinarité et la transdisciplinarité y existent donc de fait.

    Il convient d’établir des règles de circulation entre ces différents champs et le domaine spécifique du soin. Qui lit attentivement le livre d’A. Maingain et al. ne pourra que s’interroger sur la communauté scientifique qui préside au soin et sur la reconnaissance interne et externe de cette néo-discipline. Les infirmières, elles-mêmes, nous l’avons vu, ne se définissent pas comme scientifiques et ne sont pas identifiées comme telles par la population. Les scientifiques, ce sont les médecins et à la rigueur les psychologues. Les infirmières ne seraient que les utilisatrices des découvertes médicales. Elles ne risquent pas de faire communauté. [35]

    Le philosophe britannique S. Toulmin insiste sur cet aspect : « Une discipline scientifique implique toujours à la fois ses concepts et les humains qui les emploient, à la fois son objet d’étude, son champ ou son domaine, et les ambitions intellectuelles qui rassemblent ceux et celles qui œuvrent à l’intérieur de la discipline en question. » [36] La discipline et les professionnels qui s’y réfèrent doivent évoluer de concert.

    Quel est l’objet d’étude des « sciences infirmières » ? Il apparaît difficile de l’appréhender, au vu de la dénomination de la discipline. Psychologie, sociologie, anthropologie sont énoncées au singulier (alors qu’elles admettent des sous-catégories). On se demande d’abord ce qui justifie que « sciences » soit énoncé au pluriel. Il y aurait donc plusieurs sciences infirmières, lesquelles ? On ne sait pas. Le soin, qui serait l’objet le plus légitime de cette sorte de science, n’est pas nommé. Tout se passe comme si « sciences infirmières » n’existait qu’en opposition à « science médicale », que comme réponse à une revendication corporatiste, des sciences qui n’existeraient que pour pouvoir dire : « Nous aussi, nous sommes capables de faire science ». Nous en perdrions ainsi notre objet.

     

    L’infirmière, objet des sciences infirmières ?

     

    Nous pourrions soutenir que l’objet des sciences infirmières, c’est l’infirmière elle-même. De très nombreux travaux portent sur l’identité infirmière et visent à répondre à la question : « Qu’est-ce qu’une infirmière ? »[37] Ainsi B. Ouvry-Vial, universitaire puis rédactrice de revue, écrit-elle : « Tout se passe comme s’il était dans l’ordre des choses, dans la nature du métier infirmier et dans la nature des femmes qu’ils soient faits l’un pour l’autre, unis par des liens consubstantiels et indiscutables. »[38]

    Le GRIPI (Groupe de recherche interprofessionnel sur la profession de l’infirmière) qui, dès 1986, a réalisé une enquête sur l’identité infirmière formule des hypothèses complémentaires qui ne s’excluent pas entre elles : « Être infirmière, c’est du domaine de la vocation. C’est répondre à un appel très fort à se consacrer aux plus faibles, avec une certaine difficulté à dissocier l’implication personnelle de l’implication professionnelle.

    Être infirmière apporte la connaissance du corps de son fonctionnement et par là-même, l’infirmière se protègerait contre l’angoisse de la mort.

    Être infirmière, c’est participer à l’image de la femme qui fait vivre, qui donne la vie, crée et recrée, réparatrice.

    Être infirmière, c’est encore répondre à l’image que la société se fait de la femme, image qui la fait auxiliaire, assistante, dans une position secondaire par rapport à l’homme (la femme de l’artisan ; la secrétaire du directeur d’entreprise ; ici, l’infirmière secondant le médecin). »[39] Le groupe avait également pointé l’idée, plus anthropologique encore, que la pratique infirmière, à l’hôpital, est en lien avec « sa » nature féminine qui retrouve à l’hôpital le sang qui coule, qui salit. D’où l’image de « piqueuse » qui s’est attachée à elle.

    On ne saurait reprocher à un groupe qui travaille sur l’identité d’essentialiser la population qu’il étudie d’autant plus que ses réflexions nous permettent de penser l’étrange rapport au savoir entretenu par les infirmières. Clémence Dallaire, professeure en sciences infirmières à l’université de Laval, première infirmière à avoir soutenu une thèse de nursing au Québec, aborde cette question dans un article que nous avons déjà cité : « Le savoir des soins ou le savoir infirmier fait l’objet de diverses prises de positions souvent tranchées. Pour certains, le savoir infirmier n’existe pas et par le fait même, la discipline infirmière non plus ; pour d’autres, le savoir infirmier existe, mais il n’est pas utile et il n’y a pas lieu de s’en inspirer, de l’analyser ou même de l’enseigner ; dans la même veine, le savoir utile est ainsi emprunté à d’autres disciplines puisque le savoir infirmier n’est pas en mesure de proposer des explications aux phénomènes des soins ; pour d’autres enfin, le savoir infirmier existe, il a besoin d’être utilisé, mis à l’épreuve, re-théorisé ou a besoin d’être amélioré, analysé, enseigné et situé par rapport au savoir des autres disciplines car il est en développement. Ces positions s’expriment souvent avec aussi peu de nuances que dans leur exposition précédente bien qu’elles s’expliquent de façon très diversifiée. »[40]

    Ce rapport au savoir est non seulement tributaire des représentations que chacune et le groupe professionnel ont du soin mais également de ce qui fait identité pour les infirmières. Si l’infirmière répond à l’appel d’une vocation, elle n’a pas besoin d’être formée. L’université qui l’éloignerait du lit du patient lui est inutile voire nocive. Il n’est pas certain que l’antagonisme existant dans les pays anglo-saxons entre chercheuses et infirmières de base ne repose pas sur ce type de représentations.

    L’anthropologue Anne Vega distingue trois profils d’infirmières. Dans un premier temps, elle constate que l’infirmière curative, experte en pathologie, possède un savoir-faire technique fortement valorisé, qui lui permet de seconder le médecin. « Une hiérarchisation se met en place entre les professionnelles de façon implicite en fonction de la présence des médecins et des soins techniques. L’infirmière dite « technicienne » exerce dans les grands hôpitaux parisiens, cliniques privées, dans les services « actifs » spécialisés de réanimation, chirurgie, blocs opératoires où prédominent les figures leader de médecins d’équipe. Il est assimilé à des savoirs techniques valorisés et à des pratiques de soins efficaces et visibles. »[41] Ces infirmières ne demanderont pas à aller à l’université sauf, peut-être, pour devenir des I.P.A techniques, arc-boutées sur le savoir médical.

    Elle retrouve également deux autres représentations, plus anciennes des infirmières, proches du malade et autonome : les « relationnelles » et les « cornettes ». Les « relationnelles » prennent en charge l’aspect relationnel des soins et représentent la dimension humaine du soin à l’hôpital. Elles acquièrent leurs savoirs par expérience, intuition, et sont éloignées des savoirs écrits, théoriques, attribués aux cadres infirmiers. On retrouve le stéréotype de la soignante traditionnelle auprès des infirmières travaillant dans des petites unités en province ou en secteur libéral, dans des services de médecine, placé à proximité de savoirs psychocorporels non évalués et complexes. »[42] Ces infirmières ne sont pas prêtes à investir l’université, ni à se battre pour un doctorat en soins. Nous pouvons faire le même constat à propos de la soignante religieuse, « cornette », qui « axée sur des soins moraux, serviable, secourable, faisant son métier par vocation, humanisme, sinon par compassion, est éloignée du corps à corps avec le malade. »[43]

    Cette classification sommaire des trois archétypes de la profession infirmière qui mériterait sûrement d’être affinée, rend bien compte d’une origine possible de la désaffection des savoirs universitaires par les infirmières.

    Si l’infirmière, elle-même, sous différentes déclinaisons, peut être l’objet des sciences infirmières, ainsi que nous invite à la penser de nombreux travaux de recherche issus du champ, ou effectués en interdisciplinarité (avec des sociologues) et l’obligation faite aux IPA par certaines université d’inclure dans leur travail de fin d’études une partie dédiée aux stratégies d’implantation des IPA, les infirmières sont-elles les mieux placées pour effectuer ce travail ? Les sociologues, les anthropologues, les ethnologues ne sont-ils pas mieux armés (et davantage à distance) pour le faire ?  

     

    Le soin, objet des sciences infirmières ?

     

    Francine Saillant, anthropologue québécoise, définit le concept de soins. Elle remarque d’abord qu’il n’est effectivement pas simple de caractériser l’entité « soins » avec suffisamment de rigueur : « La question des soins se doit d’être pensée dans son horizon étymologique et sémantique, historique et socio-anthropologique, de même qu’à partir de leurs rapports avec diverses institutions et professions, notamment la profession médicale et les professions de l’aide, en particulier féminines. La question des soins a également à voir avec les développements de l’anthropologie du corps depuis une quarantaine d’années. Elle relève enfin des éthiques de la responsabilité dans le sens du penser à l’autre de Lévinas. » [44]                

    Anthropologue, Saillant surplombe les développements proprement infirmiers de nos consœurs anglo-saxonnes. De son point de vie d’anthropologue, ouverte aux autres cultures, il ne va pas de soi que les soins soient uniquement mis en œuvre par des professionnelles. Sa définition n’en sera que plus large. « Parler des soins nous situe spontanément dans le registre des innombrables expressions courantes issues de l’habitus langagier dans les pays francophones ; des expressions telles que « soins de santé », « système de soins », « modèle de soins », « philosophie de soins » cachent le caractère problématique de cette notion, trop souvent enchâssée dans les modèles des pratiques dominantes des institutions de santé, et particulièrement de l’institution médicale. Les mots « soins » et « soigner » paraissent désigner une série d’actions découlant de décisions et de cadres de pratiques conçus par l’institution médicale. Ainsi, on « soignerait » un patient avec les moyens de la « médecine » – entendre ici médecine occidentale –, vision quelque peu ethnocentrique puisque toutes les sociétés ont développé des systèmes de médecine et de soins plus ou moins élaborés, fondés sur des traditions orales et écrites étudiées par les historiens et les anthropologues, et qui évoluent aujourd’hui dans un contexte de pluralisme médical. »[45]

    On mesure bien que les pratiques avancées sont peut-être à la pointe sur le plan des pratiques mais sont rétrogrades en ce qui concerne le développement d’une philosophie de soins proprement infirmière et détachée de la tutelle médicale. On peut également noter que les expressions reprises par Saillant montrent l’infiltration de la pensée du soin par une sorte de néolangage non plus médical ou infirmier mais technocratique, qui va parfois jusqu’à l’absurde.

    Cet usage étroit, technocratique voire mercantile du mot « soins » évacue l’étymologie du terme qui renvoie, nous l’avons vu, « aux idées de souci, de préoccupation et de relation à un autre fragilisé par une condition donnée, une maladie ou une situation de vulnérabilité. »[46] On pourrait paraphraser Rabelais qui était aussi médecin : « Soins sans conscience de la souffrance de l’autre n’est que ruine de l’âme ». En anglais, le terme « care », traduit par « prendre soin » a deux sens : « care of » et « care about ». Sont distinguées ainsi les idées de prise en charge (care of) et de préoccupation (care about).

    L’étymologie du mot « soin » est primordiale, reprend Saillant : « Il semble en effet juste de situer l’horizon éthique de l’action de soin en avant-plan de tout confinement à une pratique spécifique, à une profession ou à une science. Les soins ne se détachent pas de la notion de prendre soin (d’un être vivant ou décédé, d’un environnement [voire d’une planète entière], d’une chose dotée d’une valeur, de l’esprit de l’être ou de la chose). »[47]

    Rares sont ceux qui en font usage pour se référer à l’esthétique ou aux thérapies corporelles de bien-être (soins esthétiques de la peau, aromathérapie, massothérapie, etc.) ou encore aux différentes formes d’aide (psychologique, sociale voire sexuelle[48]). N’oublions pas non plus que, dans le contexte de la vie domestique, un ensemble d’actions mises en œuvre par les femmes et agies selon leur habitus de genre et la division sociale du travail devraient être considérés comme faisant partie du domaine des soins. On peut ainsi avoir une définition restreinte ou large du soin selon que l’on se limite aux institutions de santé ou non. Les soins doivent être pensés en relation avec l’espace thérapeutique qui doit lui aussi être soigneusement repéré.

    Saillant définit les soins comme « l’ensemble des actions qui engagent des individus et des groupes pour le travail de soutien de la vie d’autrui (physique, culturelle) dans l’espace social. »[49] Cette définition large, qui prend en compte la préoccupation maternelle contenue dans le nursing, les soins qui s’y associent et les femmes qui l’exercent (professionnelles ou non), permet d’intégrer de nombreux objets que l’on n’aurait pas spontanément associés à l’idée de soins. Elle permet de se décentrer d’une approche uniquement professionnelle qui repose en France sur un listing d’actes. Elle favorise l’inclusion des actes accomplis par les aides-soignantes qui relèvent du soin, même s’ils sont effectués sur « prescription » infirmière, voire ceux des agents des services hospitaliers (ASH) lorsqu’ils répondent à un besoin des patients.

    Le soutien de la vie d’autrui passe aussi par des savoir-faire discrets, par un savoir-être qui se diffuse en dehors de tout acte de soin, et en psychiatrie par un « savoir y faire avec la folie ». Être là tout simplement dans le salon d’une unité de soins, sans rien faire de particulier, présent, inaltérable, impassible, là est une des attitudes intérieures les plus difficiles à acquérir pour un soignant. Un quantificateur serait bien en peine de qualifier ou de comptabiliser cette présence. « Ce soignant ne fait rien » dirait-il. En psychiatrie, c’est pourtant l’attitude la plus efficace pour contenir, rassurer, réguler les tensions individuelles et groupales. Ce travail-là est invisible pour les yeux.[50] La définition de Saillant, enfin, intègre les soins informels dont l’importance a été brillamment démontrée par J.-P. Lanquetin et S. Tchrukriel.[51]

    C’est en sortant du cadre étroit de l’hôpital et en abordant des problématiques de société sous l’angle des soins que les soignantes, des femmes dans leur grande majorité, pourront être reconnues.

    Pour intéressante qu’elle soit, cette définition des soins de Saillant est cependant un peu trop vaste. De nombreuses professions qui ne relèvent pas directement du soin peuvent s’y reconnaître à certains moments de leur activité : policiers, maîtres-nageurs, casques bleus, syndicalistes, etc. La pensée du soin y apparaît peu et ne permet pas vraiment aux soignantes de s’émanciper de la pensée médicale. Il nous faut donc la rétrécir.

    Je propose de nommer soin : « tout dispositif, simple ou complexe, profane, sacré ou savant qui vise à prévenir, accompagner, soulager, intégrer voire dépasser la souffrance physique, psychique ou sociale d’un individu ou d’un collectif. Ce dispositif se définit par le contexte dans lequel un (ou des) opérateur(s) suffisamment engagé(s) et reconnu(s) en use(nt) (voire en abuse[nt]), par la nature des interactions qui le(s) relient à un sujet ou à un groupe de sujets en souffrance, par l’objectif poursuivi par cet opérateur, par le contenu de ces interactions et par la lecture théorico-clinique même minimale qu’ils en font. Ce dispositif admet quatre dimensions : technique, relationnelle, éducative et sociale. Je nomme sciences du soin la discipline qui explore et théorise les phénomènes ainsi décrits. »[52]

    Cette définition légèrement moins ouverte apparaît d’autant plus pertinente que le souci et la préoccupation pour l’autre dans les soins se réfèrent aujourd’hui de plus en plus à une vision limitative de l’altérité qui efface la personne qui soigne et son existence en tant que sujet de la relation de soin. L’explosion des burn-out vient bien montrer que cet effacement n’est en rien anecdotique. Il devient d’autant plus crucial dans le contexte du déclin de l’État providence et la place de plus en plus importante faite à « l’aide naturelle » et aux soins profanes et domestiques, donc à l’engagement physique et moral d’une partie importante de la population féminine envers les personnes dépendantes. Qu’il s’agisse des pairs aidants ou des aidants naturels, à quel type de savoirs se réfèrent-ils ? L’expérience de la maladie (que ce soit la sienne ou celle d’un proche) éclaire-t-elle son propre chemin ou celui de plusieurs autres ? Dans quelle mesure ce savoir local ou profane peut-il être généralisable ? Avec quelle formation, quelle professionnalisation, quel salaire, quel statut, quelle protection de l’aidant ? Nous pouvons à partir de cette définition intégrer les professionnels de l’aide et du service et examiner en quoi leurs prestations relèvent ou non du soin. Une catégorisation devient ainsi possible. Non plus professionnelle mais disciplinaire. En ce qui concerne l’exercice en psychiatrie, elle reprend les éléments du cadre de soin, par exemple ceux qui définissent un entretien clinique ou une médiation thérapeutique. Elle contribue à éclairer l’opposition rôle propre/rôle sur prescription.

     

    Le travail sur l’objet

     

    En passant d’une discipline à une autre, l’objet de recherche se modifie, doit être redéfini et se penser à partir des concepts propres à la nouvelle discipline. Ainsi, la chambre d’isolement qui me semblait renvoyer à une question clinique voire épistémologique (qu’est-ce qui nous permet de penser qu’enfermer quelqu’un qui souffre de troubles psychiques le soigne ?) est devenue une problématique juridique voire éthique lors de mon DEA de droit médical. Le changement n’est pas mince. Afin de ne pas céder sur ma question, j’ai dû passer sous les fourches caudines du droit avant de développer ce qu’il m’intéressait de travailler : le soin. Le volume du mémoire de D.E.A en a été plus que doublé.[53] Le titre de l’ouvrage qui en a été tiré rend bien compte de cette hésitation. Je ne suis pas devenu juriste. L’aurais-je voulu, que même en faisant une thèse de droit médical, comme mon condisciple, J-M Jamet, il m’aurait manqué la culture et la pratique du droit.

    En embrassant une nouvelle discipline, on s’acculture et parfois on se déculture. C’est un des périls qui guette, aujourd’hui, certains de nos collègues I.P.A. Quoi qu’il en soit, un travail de recherche aussi long et aussi important que celui d’une thèse (plusieurs années) modifie profondément les manières de penser, le regard porté sur son objet de recherche et sur la discipline de départ, voire le positionnement personnel et sa façon de porter sa parole. Ces transformations ne sont pas nécessairement négatives pour peu que s’effectue une reculturation qui intègre les apports de la nouvelle discipline à l’ancienne. Le « transfuge »[54] lorsqu’il revient (s’il revient) dans son champ d’origine en est profondément changé et son regard s’est modifié en conséquence.

    Le chercheur n’est pas toujours condamné au grand écart cognitif. Le soin en psychiatrie a plus que des relations de cousinage avec la psychologie clinique. Les sciences de l’éducation enrichissent réellement les pratiques d’éducation thérapeutique. Les soins palliatifs bénéficient des questionnements éthiques et philosophiques. D’autres disciplines sont plus éloignées du soin. Ainsi la sociologie oblige-t-elle à considérer le soin non pas comme une pratique clinique mais comme un fait social, les apports à l’infirmerie n’en sont pas moins riches. Ainsi Anne-Marie Leyreloup a-t-elle dû faire un sacré saut de côté avec son D.E.A « Pouvoir, discours et société » alors que son thème de recherche portait sur l’entretien infirmier.

    Une infirmière docteur, c’est une anomalie (presque qu’un oxymore). Le système de santé et l’université proposent davantage aux infirmières un parcours d’obstacles qu’un accompagnement vers une réalisation universitaire. « Chantal Eymard, maître de conférences-habilitée à diriger des recherches (MCF-HDR), enseignant-chercheur à Aix Marseille, […] chargée de faire un état des lieux et des perspectives de la recherche en sciences infirmières en France, […] a raconté comment elle était devenue un homme en devenant chercheur, une carrière barrée aux femmes, et comment tout son passé d’infirmière avait été évacué par ses interlocuteurs. Poursuivie par les rires (jaunes) de la salle, elle a décrit l’état actuel plutôt réjouissant de la recherche infirmière en France. »[55]

    Le troisième cycle universitaire pour des soignants qui travaillent encore dans le soin est un tel parcours du combattant qu’il laisse des traces physiques, psychiques, intellectuelles et cognitives. Qu’ils le veuillent ou non, les chercheurs en creusant le nouveau champ, en en devenant en quelque sorte des « experts » s’éloignent du soin, tel qu’il est pratiqué et pensé sur le terrain. L’écart avec leur collègue s’agrandit ce qui fait que même issus du champ, ils le pensent avec les outils de leur nouvelle discipline. Leur légitimité tient d’ailleurs à leur recherche dans leur discipline d’accueil pas à leur passé de soignant qui tend plutôt à les desservir ainsi que l’illustre plus haut C. Eymard.

    Comment, dès lors, s’étonner que la discipline du soin soit parfois (souvent ?) portée par des chercheurs issus d’autres disciplines ?

     

    Une ethnologue à l’hôpital

     

    Des chercheurs issus d’autres disciplines (anthropologie, ethnologie, sociologie, histoire, sciences politiques) ont également choisi le soin et ses pratiques comme sujet d’études. L’interdisciplinarité peut être d’une grande richesse ainsi que l’illustrent les échanges entre M.F. Collières[56] et l’anthropologue F. Laplantine[57]. Elle ne vaut que lorsque les deux disciplines sont considérées comme indépendantes et complémentaires et qu’une ne cherche pas à prendre le pas sur l’autre.

    Ainsi l’ethnologue Anne Vega, dont la mère était infirmière, raconte-t-elle en 2000, les coulisses d’un service de neurologie. Elle décrit les conversations, les ambiances de travail, les pratiques non-officielles observées au cours d’une semaine fictive en articulant ce matériel aux réflexions et analyses de l’ethnologue.[58]

    La recherche de Vega ne porte pas essentiellement sur le soin mais sur le monde infirmier, « cette belle ethnologie de l’hôpital […] s’offre sous les auspices d’un « roman vrai », non d’une invention pure et simple, mais de la reconstruction méthodique, à partir de notes de terrain, d’une myriade de situations exemplaires où se donnent à voir les relations sociales au sein de l’institution. »[59] L’anthropologue David Le Breton qui en fait le compte-rendu note : « Dans une longue présentation méthodologique et théorique l’auteure se situe comme chercheure parmi d’autres dans cet univers foisonnant. Elle énonce ses manières d’observer sur le terrain, revêtue de sa blouse blanche, suivant dans leur sillage des infirmières au travail, participant aux interactions, et elle explicite aussi la raison de cette exposition particulière de ses recherches sous la forme d’un récit. Ethnologie-fiction déroulant en une suite de chroniques à plusieurs voix une trame relationnelle telle qu’elle se décline dans le quotidien des soins au chevet des malades ou dans le couloir ou les bureaux des infirmières. »[60] Sociologue, anthropologue, D. Le Breton fait figure de spécialiste des représentations et des mises en jeu du corps humain. Il a ainsi publié « La chair à vif, usages médicaux et mondains du corps humain »[61], « Anthropologie de la douleur »[62], « Le corps et ses orifices »[63] et bien d’autres ouvrages qui abordent tous les usages contemporains du corps, y compris médicaux. S’il n'a jamais effectué de recherches directes sur le quotidien hospitalier, il n’en possède pas moins les outils théoriques pour analyser les représentations du corps et de la maladie telles qu’elles se conjuguent à l’hôpital. Son commentaire de l‘ouvrage de Vega est donc précieux et permet d’apprécier ses apports à l’anthropologie.  

    « L’analyse prend bien entendu souvent le relais des situations décrites, évoquant alors les imaginaires sociaux à l’œuvre, les significations des pratiques, le clivage entre les différentes équipes, la dynamique du groupe à l’intérieur du service. Anne Vega ne méconnaît pas le jeu d’alliances et de rejets au sein duquel toute nouvelle venue est prise, surtout s’il s’agit d’une observatrice à la fois détachée et participante. Fille elle-même d’une infirmière et pour avoir souvent travaillé à l’hôpital lors de ses études, elle sait l’ambivalence des projections dont elle peut être l’objet et des siennes propres sur ce monde contrasté. »[64]

    Que décrit donc Vega ?

    « Le premier chapitre met en scène l’organisation du travail, avec son lot de tensions, de malentendus, mais aussi de collaborations nécessaires, de paroles échangées à propos ou en marge des soins. Loin d’être une mécanique bien huilée avec des soignants interchangeables, l’exercice des soins est un permanent effort d’accommodation à l’autre, au malade, aux instruments techniques. Le second chapitre illustre une identité infirmière en acte : la confrontation à une série de professionnels autour des soins à donner au malade. Le troisième chapitre est centré sur les rumeurs, les conversations, etc., ce mouvement insaisissable de paroles qui alimente l’ambiance du service, fait et défait les réputations, ces relations informelles mais puissantes dans leurs conséquences qu’avivent en permanence les problèmes techniques rencontrés (manque de temps, de personnel, défaut de matériel, difficulté de synchroniser le travail des uns et des autres). Comme toute institution, la vie quotidienne avec les autres implique des conflits à surmonter, des non-dits, une souffrance diffuse qui amène parfois à souhaiter partir au plus vite. Les autres chapitres égrènent d’autres questions comme la mort, la délimitation des territoires propres aux infirmières, les attitudes des malades. »[65]

    L’approche de l’ethnologue permet de saisir non pas le soin mais la vie sociale et professionnelle des infirmières. Nous pouvons avec Le Breton apprécier cette « plongée sans complaisance, rigoureuse, au sein de la crise de légitimité qui touche cette population, son sentiment de lassitude de devoir travailler avec des moyens qui manquent toujours davantage, avec le sentiment d’être lâchée par les cadres, et d’être prise en étau entre médecins et malades. Cloisonnements des équipes, des différents professionnels, innombrables conflits larvés alimentent les difficultés de communication, les malentendus, les ressentiments et, se tramant dans la mouvance du service, des réseaux diffus d’alliance et d’inimitiés. Les soins s’effectuent dans cette ambiance de tensions permanentes dont les malades font parfois les frais à leur insu, car s’ils sont la raison d’être de l’hôpital, ils en rappellent aussi les devoirs et donc aussi les limites. »[66] La crise que nous subissons, ne date pas d’aujourd’hui, Vega en décrivait les effets il y a plus de vingt ans. Qu’avons-nous fait de ces analyses ? Les avons-nous seulement lus et repris à notre compte, d’une manière ou d’une autre ? Notre quotidien en-a-t-il été modifié ? Je dois reconnaitre que j’ai lu l’ouvrage à sa sortie et l’ai finalement assez peu commenté. J’ai repris à mon compte ce que Vega écrivait à propos de la peur infirmière de la contamination et des mesures prises pour s’en protéger. J’ai tout de même davantage cheminé avec l’ouvrage publié en 1965, par une autre anthropologue, Mary Douglas[67], tout comme mon condisciple J-M Jamet[68]. L’ouvrage n’est pas dans ma bibliothèque, d’où mon appel à D. Le Breton.

    La conclusion d’Anne Vega est terrible : « Le monde impitoyable des hôpitaux semble induire universellement chez la plupart des soignants des processus de défenses inconscients, cette capacité à l’aveuglement et à l’oubli ponctuel qui font parfois voler en éclats les règles d’assistance à personne en danger. Partout, la plupart des soignants semblent encore se construire en évacuant de leur perception ce qu’ils ne peuvent pas voir en eux-mêmes ou chez leurs voisins, leurs frères de sang les plus immédiats, les malades. »[69]

    Les infirmiers que décrit Vega sont alors confrontés au Sida, à des personnes jeunes confrontées à une maladie mortelle dont on ignore à peu près tout et notamment les modes de transmission. Elle observe que certaines infirmières n’utilisent pas de gants pour les soins de nursing. Quand elle le leur fait remarquer, une de ces infirmières lui répond : « On ne va quand même pas refuser un contact humain à une personne qui va mourir ! » Vingt ans après, au moment du Covid (avec un autre mode de transmission, il est vrai), qu’est-il resté de cette attitude ?   

    Les autres disciplines universitaires parce qu’elles impliquent un déplacement du regard nous permettent de percevoir des choses que sans elles, nous ne saurions voir. A nous, d’intégrer leurs apports à notre propre discipline.

     

    Un sociologue dans un service de psychiatrie

     

    Frédéric Mougeot, un autre chercheur, sociologue, lui, « investigue les mondes de la santé du point de vue de ses professionnels et de ses usagers. » Il travaille actuellement sur les directives anticipées incitatives en psychiatrie et sur les questions relatives au moindre recours à la coercition en psychiatrie (Etude Plaid-care citée par Infirmiers.com). Son dernier ouvrage « Le travail des infirmiers en hôpital psychiatrique » questionne « le travail de ces professionnels à l’ère de la Nouvelle gestion publique ». C’est la reprise de sa thèse.[70]

    Tout au long de l’ouvrage, Mougeot se fait ethnographe dans deux terrains successifs de 2008 à 2011 : deux unités d’hospitalisation dans deux établissements publics spécialisés. « Le livre s’organise autour d’une série de saynètes permettant de peindre, à mesure que l’on avance dans la lecture des huit chapitres, le tableau animé du quotidien d’un service d’hospitalisation en psychiatrie. Par touches successives, l’auteur nous fait accéder à l’humour des soignants, à l’organisation spatiale des lieux, au « cadre » de soins imposé par les médecins et que les infirmiers doivent (faire) respecter, aux gestes de contrainte (isolement, contention et toute autre pratique visant à limiter l’accès à certains biens, espaces ou services aux patients) qui entrent dans la routine du travail infirmier et encore aux activités proposées aux patients et aux sorties organisées à l’extérieur de l’hôpital. »[71] Comme Anne Vega, Mougeot choisit de présenter son travail sous la forme d’un récit. Tonya Tartour, également sociologue, commente l’ouvrage. Lorsque l’ouvrage de Mougeot est sorti, j’avais été extrêmement déçu par le peu de place laissé à la littérature infirmière quasiment absente des références. Je le lui avais signifié lorsque nous nous étions rencontrés. C’est pour cette raison que je m’appuie sur les commentaires d’une de ses consœurs.  

    « Le livre ne se résume pas pour autant à une description du milieu hospitalier en psychiatrie mais aborde un large éventail de régulations, qui transforment depuis plusieurs années le métier de soignant, avec un regard ethnographique rigoureux qui ne quitte jamais les infirmiers. Les deux premiers chapitres concernent les régulations qui ont cours à l’hôpital psychiatrique (l’injonction à vider des lits et l’encadrement des pratiques thérapeutiques). Suivent quatre chapitres centrés sur la relation soignant-soigné et la clinique pratiquée par les infirmiers. Enfin, les deux derniers chapitres évoquent les arrangements que les infirmiers s’autorisent avec les normes qui encadrent leur travail. »[72] On pourrait évidemment considérer que l’injonction à vider des lits n’est pas spécifique à la psychiatrie pas plus que l’encadrement des pratiques thérapeutiques. L’actualité le montre quotidiennement à propos des services d’Urgence même si cette pression était sûrement moindre entre 2008 et 2011. On pourra regretter que l’enquête ne porte que sur deux services d’hospitalisation. L’injonction à vider les lits et le contrôle des pratiques entraînent des répercussions sur les CMP avec lesquels les infirmiers du temps-plein hospitalier sont censés être en relation. Dans une psychiatrie qui se veut de secteur, il apparaît difficile de penser l’un sans l’autre.  

    « Le propos central de l’ouvrage s’articule autour de la « dé-spécialisation » de la psychiatrie (p. 19) conduisant à une perte de sens dans le métier de soignant. Cet argument est tiré d’un double constat avancé en introduction et analysé comme étant à la source de la transformation contemporaine du métier : d’abord, la suppression du diplôme des infirmiers spécialisés en psychiatrie en 1992 ; puis le « tournant managérial » qui touche l’hôpital depuis les années 1980. »[73] Tout cela est bel et bon mais est-il besoin du regard d’un ethnographe ou d’un sociologue pour l’illustrer ? De très nombreuses publications rédigées par des infirmiers de secteur psychiatrique ont lutté contre cette dé-spécialisation et en ont décrit les effets . A commencer par l’ouvrage du CNMP (Collectif National de Mobilisation en Psychiatrie) de 1996.[74] Les ISP se sont battus contre la suppression de leur diplôme et ont soutenu par écrit[75], dans les revues voire dans des ouvrages dédiés les effets probables ou actuels de cette suppression. Sont-ils cités dans la recherche ?

    « Prenant très au sérieux la déprofessionnalisation que constitue la suppression du diplôme spécialisé pour les infirmiers, Frédéric Mougeot scinde en deux sa population infirmière et utilise systématiquement les sigles ISP (infirmier spécialisé en psychiatrie, pour les personnes diplômées avant 1992) et IDE (infirmier diplômé d’État, pour les personnes diplômées après 1992) pour les désigner. »[76] Cette différenciation, nécessaire, ne fonctionne qu’en partie. Au fil des années, des expériences dans les services, des acquis de la formation continue, des diplômes universitaires, et de l’animation clinique au sein des services, la différence tend à s’atténuer. Au Centre de Santé Mentale où j’ai travaillé entre 2003 et 2017, il m’était souvent impossible de dire si tel ou tel de mes collègues était ISP ou non. Tous étaient formés aux entretiens infirmiers, à la gestion de l’agressivité et de la violence, pratiquaient des activités de médiation et étaient capables d’en apprécier l’effet thérapeutique, bénéficiaient de supervision d’équipes, etc. Nombre d’entre eux avaient suivi un cursus complet de thérapie familiale systémique. Cela n’invalide pas la catégorisation de Mougeot mais en montre les limites lorsque s’expriment des soignants qui sont devenus experts du champ après plus de vingt ans de pratique dans le temps-plein hospitalier et en ambulatoire. Nombre d’entre eux devinrent d’ailleurs « tuteurs » en 2005.

    A partir de cette grille « Il offre une interprétation fine et stimulante des effets produits par la suppression du diplôme, une vingtaine d’années plus tard : la fin de l’acquisition de compétences spécifiques à la psychiatrie par le diplôme renforce la formation par « socialisation » dans le service, conduisant à un gain de « pouvoir de transmission » pour les soignants paramédicaux qui participent alors à l’édiction de leurs propres normes professionnelles, localement et en situation. Le groupe infirmier endosse ainsi le rôle d’« organe de régulation autonome », selon la définition de Jean-Daniel Reynaud (1988). Les descriptions finissent par dresser le portrait d’un « collectif » (p. 9), à la fois soudé et ordonné. Le second élément relatif à la déprofessionnalisation est aligné sur le premier résultat. L’auteur décrit une clinique psychiatrique qui s’apprend par « mimétisme » et « incorporation ». Lorsqu’elle est mise en œuvre par le groupe infirmier, elle est une « hybridation de savoirs médicaux et de savoirs profanes » (p. 167). Cet argument vise à montrer la perte de professionnalité subie par les infirmiers à la suite de la suppression du diplôme spécialisé. Il aboutit également à une survalorisation de la pratique clinique des médecins, qui serait la seule clinique professionnelle (en opposition à l’usage de savoirs profanes). L’activité infirmière constituerait ainsi une sous-pratique médicale, imparfaite et mâtinée d’un manque d’expertise. »[77]

    Tout cela serait passionnant si Jean-Louis Gérard n’en avait décrit les manifestations avant même la suppression du diplôme.[78] [79] L’analyse du contenu des écrits infirmiers l’amenait aux même conclusions : « Les manifestations pathologiques semblent constituer une réponse à des demandes médicales supposées. Le cadre de référence privilégié étant celui de la maladie, on ne s'étonnera pas d'une recherche d'adéquation entre la nature des observations consignées et le souhait d'être reconnu comme apte à transmettre des observations techniques. […] On peut cependant remarquer la manière de limiter les affirmations au domaine des constatations fragmentaires. Celles-ci quand il s'agit de la maladie et de ses manifestations, sont exprimées avec un vocabulaire technique assez réduit, à mi-chemin entre la terminologie officielle, médicale que l'on n'ose utiliser et le langage courant, qui sans doute traduirait beaucoup mieux les inflexions d'une perception infirmière mais ferait disparaître la référence au savoir médical. […]

    Tout se passe comme si existait un phénomène d'auto-intimidation et d'autocensure, en rapport direct avec une idéologie médicale que les infirmiers ont plus ou moins intériorisée. Ils s'abstiennent presque systématiquement de toute considération touchant au diagnostic (parce que c'est l'affaire du médecin) et de toute réflexion personnelle (parce que ça n'est pas médical), pour se limiter aux faits bruts et aux suggestions pratiques d'ordre ponctuel (médicaments mal tolérés, problèmes financiers à résoudre, etc.). Tout le contexte quotidien dans lequel ces manifestations pourraient prendre sens, est occulté car trop anecdotique.

    De temps en temps la nécessité d'une référence à la terminologie symptomatologie se fait sentir notamment par l'utilisation de qualificatifs techniques comme " angoissé ", " persécuté " " dépressif ", " interprétatif ". Ils attestent, en psychiatrie de la bonne définition des événements et des personnes, des paroles et des actes. Ils sont souvent utilisés avec des modérateurs (" il semble que ") ou avec des procédés destinés à en accroître l'effet, à faire sentir la disproportion entre la froideur du qualificatif et la violence de la perception (les +++ sont très utilisés car mettant sur un plan quantitatif, donc médical, les qualités d'un comportement traduit en symptôme). Le langage " technique " reste à décrypter puisqu'il censure l'anecdote qui lui confère un sens. De cette façon, la part faite au langage technique n'engage pas trop le personnel infirmier dans son rapport au savoir médical, tout en répondant à cette obligation d'être reconnu par le destinataire. Ce qui explique à la fois la recherche de la distinction (faire état des éléments tirés du quotidien) et les limites de cette recherche (consigner des termes techniques). »[80]

    Le constat est-il si différent de celui effectué par C. Dallaire ou L. Jovic autour des infirmières somaticiennes ? Autrement dit, la perte de professionnalité est-elle due à la suppression du diplôme ou au simple fait d’exercer comme infirmier dans une équipe qui modèle les pratiques et les façons de la penser ?

    En 2005, après le drame de Pau, afin de compenser ce qui avait été identifié comme une perte de savoirs (et donc une déprofessionnalisation), furent mises en place et financées, deux formations : la consolidation des savoirs et le tutorat. Quelles formes prenaient-elles dans les établissements où Mougeot faisait œuvre d’ethnographe ? Ont-elles contribué à modifié cette déprofessionnalisation ? Si l’on peut penser qu’en 2008, elles n’avaient pas encore produit d’effets, en était-il de même en 2011 ? N’ayant pas lu suffisamment précisément l’ouvrage, il m’est évidemment impossible de répondre à ces questions d’importance étant donné que ces formations n’ont jamais été évaluée sérieusement. Le financement s’interrompit d’ailleurs en 2009.

    Revenons à l’analyse de T. Tartour : « À partir d’un cadre théorique reposant sur la sociologie clinique et la psychodynamique du travail, l’auteur termine son analyse avec le concept d’économies morales en développant la notion de « sous-pesage », définie comme « une série d’épreuves qui participent à déterminer le degré d’investissement des soignants » (p. 117). L’exposé des logiques de classement des patients par les infirmiers (« patients-chouchous » (p. 119-125), méritants/non-méritants et dignes/indignes) achève de montrer la place centrale des émotions dans la pratique infirmière des soins psychiatriques, bien loin de la neutralité affective qui peut être classiquement prêtée aux activités professionnelles. »[81]

    Si Tartour adhère au premier de départ de l’étude de Mougeot, elle semble plus dubitative concernant son deuxième point de départ, qui nous semble faire écho aux conclusions d’Anne Vega. Bien sûr, le tournant managérial n’est pas spécifique à la psychiatrie, tous les métiers de l’hôpital et toutes les disciplines du soin ont eu à en souffrir mais cette confrontation a-t-elle pris des formes spécifiques en psychiatrie ? Ces résistances permettent-elles d’éclairer la lutte actuelle des soignants ?  « Le second point de départ de son étude est ce qu’il désigne sous les locutions « tournant managérial » ou « attaques contre leur métier » (p. 152), dont on ne saisit pas les changements qu’elles désignent exactement et les contraintes qu’elles font peser sur le travail. Les soignants jouent avec ces nouvelles règles et engagent des stratégies de contournement que l’auteur qualifie de « braconnages » par référence à Michel de Certeau, L’invention du quotidien (1980) constituant la référence filée de l’ouvrage. Trois modalités de « braconnage » sont particulièrement convaincantes : l’usage tactique des diagnostics et de certains mots-clefs pour décrire les patients afin d’obtenir ce que l’on veut de la part du médecin ; les pratiques d’échanges de patients entre les services pour donner l’illusion d’un flux de patients conforme à la norme imposée par la direction ; enfin, une série de manœuvres consistant à préserver l’invisibilité des soignants dans certains espaces du service malgré des travaux d’aménagement en cours visant justement à rendre les soignants plus visibles au sein du service. Ces trois stratégies visent cependant des détournements très inégaux et s’adressent surtout à des destinataires différents : les médecins du service, les autres services, ou les patients. L’auteur affirme, dans le dernier chapitre, qu’il existe également un braconnage autour « des chiffres », mais lesquels ? L’interrogation n’est pas levée dans la suite du chapitre. En conclusion, il avance que « la domination managériale et gestionnaire est pour partie contenue à l’extérieur des unités de soins sous l’effet des pratiques de subversion des infirmiers » (p. 218). »[82] Cette partie de l’ouvrage mérite d’être reprise dans le sens où elle montre l’adaptation des soignants, leurs bricolages, leur résistance.

    Tonya Tartour relève que « La centralité des infirmiers apparaît conforme au projet initial de l’auteur d’ethnographier le travail des infirmiers en hôpital psychiatrique. Toutefois, la focale courte utilisée pour l’observer conduit à laisser hors champ une série d’éléments contextuels du travail. Les dimensions pratiques, la temporalité, les techniques et objets mobilisés ou encore les espaces dans lesquels se déploie la clinique sont insuffisamment décrits pour explorer finement ce qui structure l’action des infirmiers dans un service de psychiatrie. »[83] Elle-même a soutenu, en 2021, une thèse de sociologie dont le titre est : « L’administration du désordre. Gouverner l’hôpital psychiatrique depuis les années 1980. » Tartour ne travaille pas sur les infirmiers mais sur les psychiatres et sur ce qui motive la décision d’hospitaliser sous contrainte. Elle critique donc Mougeot, en partie, à partir de son propre travail. Elle reprend :

    « De la même manière, le lecteur demeure étonné de la faible place donnée aux acteurs extérieurs au strict groupe des soignants dans les unités hospitalières observées. Les médecins, notamment, apparaissent uniquement du point de vue des infirmiers ; les cadres de proximité sont quant à eux absents de la plupart des développements. Cette absence notable empêche de préciser des formules telles que « les braconnages des infirmiers […] participent à l’affaiblissement de la dominance des médecins » (p. 199). Une sociologie du travail d’un groupe professionnel dont l’activité est largement subordonnée à un autre mériterait certainement que la hiérarchie externe soit plus amplement analysée. »[84]

    Si elle ne cite pas davantage de travaux infirmiers que son collègue (ils ne constituent pas l’objet direct de son travail mais font partie, tout de même, des acteurs extérieurs de la décision d’hospitalisation sous contrainte) elle reprend abondamment les écrits médicaux qui permettent d’éclairer la décision et les résistances des psychiatres à la judiciarisation des hospitalisations sous contrainte. Leur collègue, Lucie Michel, qui soutient, en 2018, une thèse en Epidémiologie et sciences de l’information biomédicale dont le titre est « Dans la boite noire d’un fardeau infirmier, Analyse comparée du travail administratif hospitalier en France et aux Etats-Unis » fait assez curieusement plus de place aux écrits infirmiers français, canadiens et américains.

    Tonya Tartour conclut sa critique du travail de Mougeot en notant : « On trouve cependant un avertissement, et sans doute une explication, dans les toutes premières pages de l’ouvrage : Frédéric Mougeot y confie ses difficultés à prendre de la distance avec le terrain et avec ses enquêtés et avoue avoir « [intégré] le groupe des soignants sans grande résistance » (p. 13) ou « [faire] corps avec le groupe [infirmier] » (p. 15). La constitution de son « bestiaire (in)hospitalier » (p. 14), qui rassemble des descriptions amusées des corps et des comportements des personnes hospitalisées, offre une illustration emblématique de son appropriation des catégories soignantes. La submersion de l’ethnographe a également pour effet de le rendre aveugle à la hiérarchie interne du groupe — ou du moins muet à son propos. Certaines infirmières sont citées très fréquemment, notamment deux jeunes IDE qui semblent avoir une position voire un pouvoir particulier dans leur unité, mais ces ressorts ne sont pas exploités. »[85] La lecture des écrits infirmiers l’aurait-elle aidé à prendre de la distance ? Lui seul peut le dire. L’effet de la suppression des études d’infirmiers en psychiatrie est, ainsi, extrêmement bien décrit par Mougeot. Quel dommage qu’il n’ait pas confronté ses observations avec ce que les ISP et leurs consœurs écrivaient dans les années 1990 ! Cette suppression du diplôme et des études qui permettent d’acquérir la professionnalisation a eu un effet passé inaperçu : la multiplication des écrits infirmiers issus de psychiatrie.

    Quoi qu’il en soit, ces travaux extérieurs à la discipline, s’ils sont de notre point de vue incomplets, s’ils ne considèrent pas réellement le soin comme un champ de pensée autonome n’en sont pas moins riches et peuvent nous permettre, à nous soignants, de penser notre exercice, en lien avec nos propres concepts.

    Il suffirait, au fond, de se référer à l’ethnométhodologie pour comprendre que les soignants, à condition d’être initiés à la recherche, sont les mieux placés pour décrire leur exercice et leur façon de le conceptualiser.

    Dans le contexte que nous avons décrit, tout travail de recherche qui ne prend pas en compte la littérature issue du soin contribue à l’invisibilisation du soin et des soignants. La qualité de ces travaux s’apprécie autant par ce qu’ils apportent à la discipline de départ (ethnologie, sociologie) qu’au champ que leurs observations décrivent (sciences du soin).

     

    La pénétration des écrits de recherche en soins sur le terrain

     

    « Il faudra du temps pour que les chercheurs en sciences infirmières arrivent et produisent de la connaissance... Qui connaît aujourd'hui les travaux de Jean-Paul Lanquetin sur le socle care qui ont plus de 10 ans où de cet infirmier sur l’utilisation d’un ballon pour éviter la contention en pédopsychiatre (recherche depuis plus de 20 ans) … »

    D’une façon générale, il faut du temps pour que les travaux issus de la recherche pénètrent le terrain. En psychiatrie comme ailleurs. En France, le développement de la psychanalyse freudienne est surtout perceptible, en psychiatrie, après la seconde guerre mondiale. Il fallut plus de vingt ans avant que l’approche systémique soit adoptée en France. La réhabilitation commence seulement à faire partie des outils de travail utilisés par les infirmiers, quant à la compréhension des modèles théoriques qui la sous-tendent … Il ne s’agit-là que de mouvements théoriques portés par de nombreux psychiatres et psychologues. On peut penser que la pénétration de contenus issus de la recherche en soins est encore plus lente. Depuis plus de trente ans, les étudiants en soins infirmiers apprennent à l’IFSI à poser des diagnostics infirmiers et à en déduire leur démarche de soins. Sur le terrain combien d’infirmières s’en servent réellement ?

    Stéphane a bien raison, il faut du temps pour que la recherche en soins produise une connaissance qui essaime sur le terrain, un savoir qui fasse partie d’un patrimoine commun mais le temps du chercheur est lui-même un temps long. Nous avons décrit son invisibilité, nous avons vu qu’il n’existait pas ou peu de chercheurs issus de la discipline et que les infirmières étaient davantage objet de thèses qu’auteure. Venons-en à Jean-Paul Lanquetin.

     

    Jean-Paul Lanquetin, un praticien chercheur atypique

     

    « Je pense aussi à Jean-Paul qui se joignit à nous plus tard et qui devint pour nous tous un référent théorique du travail infirmier. De nature discrète, il avait pourtant un rôle important dans les réunions mensuelles du service où nous décidions des grandes orientations. Il m’a fallu du temps pour me rendre compte de ses qualités et en particulier du temps qu’il ne comptait pas auprès des patients. »[86] Ces lignes de Michel Nique, psychiatre, chef de service à Saint-Cyr-Au-Mont-D’or (69) décrivent bien la sorte d’infirmier qu’était Jean-Paul Lanquetin. Un de ces infirmiers, pivot de la vie d’un service. Avec ses deux amis : Gérard et Philippe. Nique poursuit : « Philippe fut rapidement nommé surveillant mais Gérard et Jean-Paul préférèrent rester infirmiers afin d’être plus directement en contact avec les patients. »[87] Dans ces années 1980-1990, la recherche n’est pas une façon de fuir le quotidien, ni la confrontation aux patients. C’est une des caractéristiques de notre génération. La recherche naît du terrain et ses avancées y retournent pour l’enrichir. Nous récusons l’opposition entre ceux qui ont les mains dedans et ceux qui pensent.

    « Plus tard Jean-Paul tirera de son expérience un très important travail sur « l’informel dans le travail des infirmiers en psychiatrie ». Dans cette étude sera mise en évidence, à travers de nombreux interviews la diversité des échanges ponctuels ou plus élaborés entre patients et soignants, avec surtout leur contenu thématique les plus fréquents. Enorme travail qui sans doute permettra une meilleure compréhension de l’activité infirmière et des difficultés à reconnaître le temps important qu’il faut accorder au contact avec les patients. Ce temps de dialogues imprévus, mais dont il faut savoir saisir l’opportunité, n’est pas du temps perdu.[88] Ces lignes de M. Nique montre que le chercheur est d’abord connu et reconnu sur le terrain du soin. En première analyse, c’est ce qui lui confère une première légitimité. Michel Nique et les infirmières avec lesquelles Jean-Paul a travaillé connaissent ses travaux. C’est peu, probablement, mais c’est énorme. C’est en tout cas un premier pas. C’est cette expérience du terrain, cette connaissance fine des différents types de relations avec le patient qui permet à Jean-Paul de lire les interactions qu’il observe sur le terrain, non plus en tant qu’infirmier mais dans la posture d’un chercheur averti.

    Nous nous sommes rencontrés physiquement le 5 décembre 1997, lors du Congrès « Psychiatrie et droits de l’homme » organisé par l’Association des cadres infirmiers en santé mentale (Ascism). Jean-Paul y présentait un texte très dense où il traitait des rapports entre droits de l’homme et lutte des infirmiers « psy » pour le diplôme d’Etat infirmier (DEI). Le texte me marqua tellement que j’en publiais une partie en janvier/février 1999 dans la revue Soins Psychiatrie dont j’étais alors rédacteur-en-chef adjoint.[89] Le thème du dossier était « Travailler en psychiatrie aujourd’hui ». Bernard Goddet, le rédacteur-en-chef des revues Soins écrivait dans son éditorial : « Les infirmiers en ont « ras la camisole » ; ils ont l’impression de se battre contre des ombres, leur tutelle fuyant les réalités. Comme me le disait un infirmier militant avec une ironie amère : « on ne peut rendre droit, l’ombre d’un bâton tordu » … Face à ce triste constat et au malaise persistant, la revue Soins Psychiatrie […] veut porter le témoignage des richesses de la profession. Au fil des pages, des soignants explicitent leur démarche, la singularité de leurs pratiques et la valeur unique de leur identité professionnelle enrichie par l’efficacité d’un travail en équipe. Courage, fuyons les médiocrités administratives, avec comme seul mot d’ordre pour l’an 2000 : « Être infirmier seulement, mais infirmier pleinement ». »[90] L’éditorial est assez fidèle au ton et au contenu des revues de soins en psychiatrie et en santé mentale au cours de cette période 1994-2000.

    J’ai lu Jean-Paul, bien avant de le rencontrer. Le plus marquant de ses textes de l’époque avait pour titre : « Spécificités des soins infirmiers en hôpital psychiatrique ».[91] S’il était co-signé par ses deux complices, il portait bien la marque de Jean-Paul. Ils y écrivaient que penser le soin infirmier en psychiatrie revient à articuler trois dimensions essentielles : les soins infirmiers et le travail singulier, les soins infirmiers et le travail en équipe, et les soins infirmiers et le cadre institutionnel, toutes dimensions présentes, aujourd’hui, dans le carnet du socle care. « Il est admis que dans la répartition des activités du soin infirmier, le soin technique codifié ne représente que 25 % du temps infirmier intra hospitalier. Qu’en est-il des 75 % restant, ces soins qui ne sont pas réglementés ou encadrés ? Que fait-on qui n’est pas le faire ? Que fait-on qu’une pratique « nomenclaturée et informatisée » ne saurait réduire ? »[92] Nos auteurs distinguent dix fonctions au sein du travail singulier : « fonction d’observation dynamique et clinique », « fonction de permanence », « fonction de répétiteur », « fonction d’improvisation », « fonction clown », « fonction d’étayage », « fonction d’attention », « fonction d’information », « fonction réponse », « fonction d’écoute ». Les articles de Jean-Paul, même ceux publiés avant l’achèvement de sa recherche, sont extraordinairement cohérents. Au fond, c’est la même piste qu’il creuse et recreuse. Ainsi, dès 1998, Jean-Paul donnait à lire une partie de ses intuitions, déjà bien élaborées, qu’il vérifiera par un travail de recherche qui ne sera achevé (pour autant qu’il puisse l’être) qu’en 2012.[93] Le temps du chercheur est un temps long.

    Jean-Paul qui n’est pas passé par l’université, a dû se former à la recherche pour en maîtriser les pratiques et la méthodologie. C’est en ce sens qu’il est un chercheur atypique, un « praticien chercheur ». Il s’est formé au côté de l’ARSI (Association de Recherche en Soins Infirmiers) auprès de Geneviève Roberton, ancienne présidente de l’ARSI.

    Je ne reprendrai pas ici les étapes d’une recherche que Lanquetin détaille dans son mémoire final. Rappelons que sa recherche a été validée par le Comité scientifique de la recherche (CSR) du Centre Hospitalier du Vinatier, qu’il a dû créer le Groupe de Recherche en Soins Infirmiers pour donner une assise à ses travaux et organiser leur pénétration dans le milieu. Il a travaillé et retravaillé son objet de recherche : les aspects informels du soin. La première partie de son mémoire est entièrement consacrée à son décorticage.

    Jean-Paul est intervenu dans de très nombreux congrès en France et à l’étranger, il a publié de très nombreux articles dans un grand nombre de revues. Ses travaux devraient donc être connus du plus grand nombre d’infirmiers et de chercheurs. Est-il possible d’investiguer sur les aspects informels du soin dans le temps-plein hospitalier sans se référer à sa caractérisation qui regroupe 139 fonctions qui représentent au moins 75 % de l’activité infirmière ? Peut-on s’y prêter sans au moins analyser son travail et le critiquer ? Quelle serait la valeur d’un travail universitaire qui ne le ferait pas ? Malgré toute cette activité qui fait partie intégrante du travail de chercheur, ses travaux sont-ils connus autant qu’ils le devraient ? Stéphane a-t-il raison de se poser la question ?    

    Il semble que sa rencontre avec le psychologue belge Éric Pierrard ait été déterminante. Leur élaboration commune du Carnet du socle care, à partir du travail de J-P Lanquetin et S. Tchukriel a permis la création d’un outil facile d’utilisation, que l’on peut ranger dans sa poche. La formation qui en découle, proposée à de très nombreux centres hospitaliers, contribue directement à faire connaître ce « dessous des soins ». Cette recherche-là, effectuée par un chercheur atypique qui a creusé son filon à partir d’une intuition étayée sur des années de pratique, qui se concrétise dans un carnet facile à utiliser et nécessite de la formation continue a bien pénétré le terrain et contribue à le modifier. Les chercheurs d’aujourd’hui peuvent s’en inspirer. Les infirmiers et infirmières ne lisent pas ou peu sur le terrain, ils ne sont tout simplement pas disponibles. La formation socle care vient les chercher à un moment où ils ne sont pas préoccupés par les patients ou les recommandations de leur cadre : le temps passé en formation continue. Validé par l’établissement et par la formation continue, socle care enrichit la perception soignante des actions quotidiennes qu’ils ne pensaient pas forcément comme tels jusque-là. Ces formations mobilisant collectivement les soignants d’un établissement, elles contribuent directement à la création d’un patrimoine commun.

    Un chercheur ne publie pas que pour lui. Il porte, dans ses interventions, quelque chose de la discipline qu’il contribue à étoffer. Il faut que les idées circulent pour susciter des vocations. A cet effet, Jean-Paul et quelques autres ont créé les Rencontres de la Recherche en Soins en Psychiatrie qui rassemblent chaque année depuis 2015, à Ecully (69), près de 200 chercheurs en soins venant de toute la Francophonie. Le partenariat avec le Grieps, Santé Mentale, Serpsy et beaucoup d’autres associations contribuent à rendre visible les travaux de recherche en soins en psychiatrie et à créer une communauté de chercheurs que rassemble une nouvelle association : ADRPSY.

     

    Un travail de réduction pour ouvrir les portes du terrain

     

    Il se peut que les travaux de Jean Lefèvre-Utile et sa thèse d’éthique[94] ne soient pas aussi connus qu’ils le devraient. L’intitulé complet apparaît comme très dissuasif pour le soignant qui n’est pas spontanément attiré par la thématique ou confronté au type de patients qu’il décrit. Il n’empêche que Jean a obtenu le prix soignant innovant de l’APHP 2021, ce qui assure une certaine visibilité à son travail. Il opère la même réduction que J-P Lanquetin et E. Pierrard avec le socle-care en sélectionnant des outils alternatifs à la contention. Son tapis d’immobilisation transitoire (à mi-chemin entre une planche de stabilisation made in USA et les coquilles gonflables des secouristes français, objet du prix APHP) et le ballon thérapeutique destiné à éviter la contention ont toutes les chances d’être repris sur le terrain par des soignants confrontés à une violence qui les dépasse surtout si leur utilisation passe par la formation continue.

    J’ai détaillé, ailleurs, mon activité de chercheur[95], je ne la reprendrai ici que pour répondre à la remarque de Stéphane.

    Lors d’une recherche effectuée au sein du XIVème secteur de Paris entre 1992 et 1993, le Groupe de Recherche en Soins Infirmiers a montré que les patients interrogés maitrisaient assez bien les somnifères, les neuroleptiques sédatifs mais s’avéraient, pour la plupart, incapables d’associer Haldol® et hallucinations. Après avoir vérifié que les niveaux d’ignorance des patients correspondaient bien à ce que taisaient les soignants, nous nous sommes demandé comment permettre aux soignants d’aborder la question du délire et des hallucinations.[96] Cette recherche nous a permis d’obtenir deux prix : le prix psychiatrie de la revue Profession Infirmière, et le prix Michel Sapir ex-aequo. L’argent obtenu a été investi dans un film destiné à l’information des patients sur le traitement : « Vivre en ville » présenté au Festival de Lorquin.

    Dans la foulée Marie Hélène Manillier, rédactrice-en-chef de Profession Infirmière, devenue éditrice, nous a demandé de rédiger un ouvrage à partir de notre recherche, ce que nous fîmes. Nous avions alors une certaine visibilité, dans un système médiatique, moins fermé qu’aujourd’hui aux infirmiers psychiatriques. Le laboratoire Lilly lançait alors le Zyprexa® et constituait des panels afin de se rapprocher des infirmiers psychiatriques. Je fus sélectionné une première fois. Les représentants du laboratoire rassemblèrent une vingtaine d’infirmiers et de cadres dans un grand hôtel parisien et nous demandèrent de quoi nous avions besoin pour les soins. Un peu surpris, habitués aux mugs et aux pendules Lilly, les collègues n’avaient guère d’idées. Le regard éclairé par la recherche, j’ai dit que nous avions besoin d’outils pour informer les patients sur leur traitement. Ma demande fut notée. Quelque temps plus tard, je fus sélectionné dans un autre panel qui regroupait des soignants travaillant dans les CHU. Même demande, même réaction des collègues, même réponse de ma part. Je me retrouvais dans un troisième panel et je réitérais ma proposition qui s’était affirmée et affinée depuis. Trois panels demandant la même chose, le laboratoire proposa la création d’un groupe de travail destiné à mettre en place un outil de ce qui n’était pas encore l’Education Thérapeutique du Patient. J’en fis partie. Nous rédigeâmes un premier fascicule qui portait comme titre : « C’est étrange autour de moi ». Convaincus que nous ne pourrions en faire qu’un, nous nous sommes centrés sur le délire et les hallucinations. Ce premier fascicule rencontra un tel succès que nous pûmes rédiger toute une collection. Il y eut 40 000 exemplaires tirés de ce premier opus. Le laboratoire créa un site dédié, certains fascicules furent téléchargés plus de 11 000 fois. Distribués par la visite médicale, ces fascicules répondaient à un besoin rencontré par les familles, les patients et les soignants. Difficile alors de dire que les fruits de la recherche n’arrivaient pas sur le terrain. Je ne suis pas certain que les utilisateurs de ces livrets sussent qu’ils avaient été rédigés par un groupe d’infirmiers, puis par un infirmier et un psychiatre, puis par un infirmier. Je ne suis pas certain qu’ils associaient mon nom au fascicule voire à la recherche qui y avait préludé, l’essentiel en ce qui me concerne était qu’ils permettent aux patients, à leur famille d’avoir une meilleure information sur le traitement, les troubles et les soins qui étaient proposés.

    Avec ces fascicules, j’ai opéré, sans le savoir la même réduction que Jean-Paul Lanquetin avec le socle care et Jean Lefèvre-Utile avec ses outils alternatifs à la contention. Pour répondre au commentaire de Stéphane, la recherche en soins infirmiers est d’autant mieux reconnue qu’elle s’appuie sur des outils concrets, accompagnés d’action de formation continue qui déplient et expliquent le fond de la recherche.

    Il est bien sûr désolant que ces différents développements s’appuient sur des initiatives individuelles plus que sur les structures existantes : Direction des soins, Commission du Service des Soins infirmiers et Médico-techniques, IFSI, Université, etc. Nous verrons dans un prochain texte quels outils favorisent la pénétration de ces travaux.

     

     

     

    Dominique Friard

     

        

        

     

    [2] Friard D., Epistémologie du soin. De la blouse blanche à la toge universitaire, Editions Seli Arslan, Paris, 2021, p. 57.

    [3] Ibid., p.68.

    [4] Boussahba M., Delanoe E., Bakshi S., Crenshaw K., Qu’est-ce que l’intersectionnalité ? Dominations plurielles : sexe, classe et race. Petite Bibliothèque Payot, Paris, 2021.

    [5] Jovic L., Formarier M., Les concepts en sciences infirmières, 2ème Ed., ARSI, Editions, Mallet Conseil, Paris, 2012.

    [6] Friard D., « Mieux définir le risque de non-observance médicamenteuse », in Objectif Soins, n° 31, Mars 1995, pp.35/38.

    [7] Friard D., Leyreloup A-M., « Ethique et droits du patients », in Profession infirmière, n°42, Octobre 1995, pp. 16-17.

    [8] Friard D., Rajablat M., « Bâtisseurs de cathédrale », in VST, n°45, Décembre 1995. pp.11-13.

    [9] Friard D., Leyreloup A-M, Louesdon J. Rajablat M., Stolz G., Windisch M., « Médicaments...Quel rôle infirmier ? », in Soins psychiatrie, n°173, Mars 1995, pp.13-17.

    Friard D., Leyreloup A-M, Louesdon J. Rajablat M., Stolz G., Windisch, « Une recherche infirmière. Evaluation de la qualité de l'information donnée au patient », in Soins psychiatrie, n°173, Mars 1995, pp.18-23.

    Friard D., Leyreloup A-M, Louesdon J. Rajablat M., Stolz G., Windisch M., « Prescrire, distribuer, informer. Le poids de l'institution », in Soins psychiatrie, n°173, Mars 1995, pp.24-28.

    [10] Benner P., De novice à expert, Excellence en soins infirmiers, Masson, Paris, 1970.

    [12] Paumelle P., Essai de traitement collectif du quartier d’agités, Editions ENSP, Rennes, 1999.

    [13] Leurs masters ne sont pas de vrais masters (avec la reconnaissance qui va avec) mais des grades, des niveaux master.

    [14] Roelandt J-L, Caria A., Defromont L., Vandeborre A., Daumerie N., « Représentations sociales du « fou », du malade mental » et du « dépressif » en population générale en France », in l’Encéphale, Vol 36, n°3S1, pp 7-13, 2010.

    [15] Sauf si l’on considère qu’il s’agit, avec cette expression, de reprendre le stigmate, de le ramasser et de faire face, comme Césaire et Sédar Senghor.

    [16] Sartre J-P, Saint Genet, comédien et martyr, Essai, Gallimard, Paris, 1952.

    [17] Lanriec T., L’école à l’envers. Former des enseignantes en infirmerie, Lamarre, Paris, 1998.

    [18] Pronost A-M, Tap P., « Usure professionnelle et formation en soins palliatifs », Cahiers internationaux de psychologie sociale, n°33, 1/97, 75-85. Etc.

    [19] Beauvue-Fougeyrollas C., Les infirmiers en psychiatrie et la folie, Editions Lamarre, Paris, 1991.

    [20] Jaeger M., Principes et pratiques d’action sociale. Sens et non-sens de l’intervention sociale, Dunod, Paris, 2023. (parmi beaucoup d’autres contributions).

    [21] Mercadier C., Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital, Editions Seli Arslan, Paris, 2002.

    [22] Jamet J-M, Depré V., L’accueil en psychiatrie. Aspects juridique, théorique, pratique, Coll. Souffrance psychique & Soins, Editions Hospitalières, Paris, 1997.

    [23] Svandra P., L’éthique soignante, Réflexions sur les principaux enjeux du soin, Editions Seli Arslan, Paris, 2014. (parmi beaucoup d’autres contributions).

    [24] Pacific C., Consensus, dissensus. Principe du conflit nécessaire, Coll. Ouverture philosophique, L’harmattan, Paris, 2011.  

    [25] Eymard C., Thuilier O., La recherche en sciences paramédicales. (Se) former à et par la recherche, Lamarre, Paris, 2020 (parmi bien d’autres contributions)

    [26] Revillot J-M, Manuel d’éducation thérapeutique du patient, Dunod, Paris, 2016. (parmi d’autres contributions)

    [27] POISSON (M), L’école internationale d’enseignement infirmier supérieur (1965-1995). Un lieu de production, de diffusion et de développement des savoirs des soins infirmiers en France dans la seconde moitié du XXème siècle. In Recherche en Soins infirmiers, n° 139, Décembre 2019, pp. 49-63,

    [28] DELMAS (P), Hardiesse : une caractéristique de la personnalité protectrice du stress, EMC SAVOIRS ET SOINS INFIRMIERS (n°60-470-U-10 vol 2), 2011, pp. 1-9.

    [29] VILLENEUVE (B), "Réveiller l’émancipation individuelle et collective chez l’infirmier psychiatrique", https://www.infirmiers.com/votre-carriere/votre-carriere/reveiller-emancipation-individuelle-et-collective-chez-infirmier-psychiatrique.html. 09/07/2020.

    [30] Ils sont carrément devenus psychologues cliniciens.

    [31] Richard I., Le Bouler S., « La Création de nouvelles sections du Conseil national des universités », Recherche en Soins Infirmiers, n°139, décembre 2019, pp. 8-11.

    [32] POPPER (K), La Connaissance objective, trad. fr. J.-J. Rosat, Paris, Aubier, coll. « Bibliothèque Philosophique », 1979.

    [33] KUHN (T.S.), La Structure des révolutions scientifiques, trad. fr. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1983.

    [34] MAINGAIN (A). DUFOUR (B), FOREZ (G), Approches didactiques de l’interdisciplinarité, Bruxelles, De Boeck Université, 2002.

    [35] La tentation n’en existe pas moins. Ainsi, les I.P.A. ont -ils créé, dès 2020, une société savante avec l’ambition de produire, d’évaluer et de diffuser la recherche dans le champ de leur profession supposant que ce champ était différent du champ du soin. Les chercheurs n’ont rien à gagner à l’émiettement.

    [36] TOULMIN (S), « Human understanding : The collective use and evolution of concepts », Mind, n° 84 (334), 1975, p. 299-304.

    [37] Il est difficile de ne pas entendre dans cette question : « Qu’est-ce qu’un femme ? »

    [38] Ouvry-Vial, « Les unes et les autres », in B. Bon Salivan J. Saliba, B. Ouvry-Vial, Les infirmières, ni nonnes, ni bonnes, Syros, Paris, 1993, p.179.

    [39] GRIPI, L’identité professionnelle de l’infirmière, Infirmières d’aujourd’hui, Le centurion, Paris, 1986, pp. 41-42.

    [40] DALLAIRE (C), « La difficile relation des soins infirmiers avec le savoir », in Recherche en Soins Infirmiers, n°121, 2015/2, pp. 18-27.

    [41] Vega (A), Les infirmières hospitalières françaises : l‘ambiguïté et la prégnance des représentations professionnelles, in Sciences Sociales et Santé, Vol 15, n°3, 1997, pp. 103-132.

    [42] Ibid., p. 109.

    [43] Ibid.,p.109.

    [44] F. Saillant, « Soins », in M. Marzano (dir.), Dictionnaire du corps, Paris, PUF, 2007.

    [45] Ibid.

    [46] Ibid.

    [47] Ibid.

    [48] M. Merteuil, T. Schaffauser, « Le travail du sexe : entretien croisé avec Morgane Merteuil et Thierry Schauffauser », Tracés. Revue de Sciences Humaines [en ligne], 32/2017, mis en ligne le 18 mai 2017, http://journals.openedition.org/traces/6921.

    [49] F. Saillant, « Soins », op. cit.

    [50] Cette petite anecdote remonte à la lutte des infirmiers de secteur psychiatrique contre la suppression de leur diplôme. Ils avaient invité cette représentante infirmière du ministère dans une unité pour qu’elle se rende compte par elle-même à la fois des spécificités du soin en psychiatrie et des compétences des infirmiers de secteur psychiatrique. En pure perte. Elle ne vit rien. Sa définition du soin était trop étroite pour donner du sens à ce qu’elle voyait.

    [51] J.-P. Lanquetin, S. Tchukriel, L’Impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie, 2012.

    [52] D. Friard, « L’objet « introuvable » de la science dite infirmière », in Perspectives soignantes, n°67, avril 2020, pp. 7-38.

    [53] Friard D., L’isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ? Editions Hospitalière, Paris, 1998.

    [54] Au niveau infirmier, il n’est pas excessif de parler de « transfuge de classe ».

    [55] Friard D., « La recherche en soins, une réalité bien vivante », in Santé Mentale, n°225, Février 2018, pp. 6-7.

    [56] Collière M-F, « Apports de l’anthropologie aux soins infirmiers », Anthropologie et société, 1990, (Université Laval, Québec) 4-1.

    [57] Laplantine F., Anthropologie de la maladie, Payot, Coll. Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1993.

    [58] Vega A., Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier, Editions des archives contemporaines, Paris, 2000.

    [59] Lebreton D., Compte-rendu d’ouvrage, in Anthropologie et société, numéro 2, 2001, p. 179–180
    Tourisme et sociétés locales en Asie orientale.

    [60] Ibid.

    [61] Le Breton D., La chair à vif, Usage médicaux et mondains du corps humain, Editions Métailié, Paris, 1993.

    [62] Le Breton D., Anthropologie de la douleur, Editions Métailié, Paris, 1995.

    [63] Le Breton D., Méchin C., Bianquis I et al., Le corps et ses orifices, L’harmattan, Paris, 2004.

    [64] Lebreton D., « Compte-rendu d’ouvrage », in Anthropologie et société, op. cit.

    [65] Ibid.

    [66] Ibid.

    [67] Douglas M., La souillure, Essais sur les notions de pollution et de tabou, Ed de La Découverte, Paris, 2005.

    [68] Jamet J-M, Depré V., L’accueil en psychiatrie. Aspects juridique, théorique, pratique, Coll. Souffrance psychique & Soins, Editions Hospitalières, Paris, 1997.

    [69] Vega A., Une ethnologue à l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien infirmier, op. cit., p. 199.

    [70] Mougeot F., Le travail des infirmiers en hôpital psychiatrique, Coll. Clinique du travail, Editions érès, Toulouse, 2019.

    [72] Ibid.

    [73] Ibid.

    [74] CNMP, Pour la reconnaissance des soins infirmiers en psychiatrie, Seli Arslan, Paris, 1996.

    [75] Bourdeux C., « De la non-rebellion à la mobilisation des infirmiers de secteur psychiatrique », in Soins Psychiatrie, n°169, Novembre 1994, pp.43-45. Parmi beaucoup d’autres.

    [77] Ibid.

    [78] GERARD (J-L), Infirmiers en psychiatrie : nouvelle génération. Une formation en question. Coll. Infirmière, société et avenir. Editions Lamarre, Paris, 1993.

    [79] ABDELMALEK (A.A), GERARD (J-L), Sciences Humaines et soins. Manuel à l’usage des professions de santé, InterEditions, Paris, 1995.

    [80] GERARD (J-L), Infirmiers en psychiatrie : nouvelle génération. Une formation en question. Op. cit.

    [82] Ibid.

    [84] Ibid.

    [85] Ibid.

    [86] Nique M., De l’asile à l’hôpital, Champ Social Editions, Nîmes 2016, pp. 141-142.

    [87] Ibid., p.142.

    [88] Ibid., p. 142.

    [89] Lanquetin J-P, « Le diplôme d’Etat infirmier, entre éthique et récursivité de la question de la folie », in Soins psychiatrie, n°200, janvier, février 1999, pp. 17-20.

    [90] Goddet B., « Être infirmier … pleinement », Editorial, in Soins psychiatrie, n°200, janvier, février 1999, p.3.

    [91] Anselme G., Lanquetin J-P, Quinet P., « Spécificité des soins en hôpital psychiatrique », in Soins Psychiatrie, n°194, « Les soins infirmiers en extrahospitalier », Février 1998.

    [92] Ibid.

    [93] [93] LANQUETIN (J-P), TCHUKRIEL (S),  L’Impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie, 2012 ; accessible en ligne à l’adresse www.croixmarinenormandie.com/limpact-de-linformel-dans-le-travail-de-linfirmier-en-psychiatrie-jean-paul-lanquetin-mars-2015.

    [94] Lefèvre-Utile J., La relation de soin en pédopsychiatrie à l’épreuve de la violence et au cœur de la vulnérabilité partagée : Etude ethnographique sur les pratiques de sécurisation alternatives à la contention dans la prise en charge des troubles graves du comportement des personnes avec autisme et déficience intellectuelle en France, au Canada et aux Etats-Unis, thèse de doctorat en Ethique, soutenue le 05/07/2021.

    [95] Friard D., Epistémologie du soin. De la blouse blanche à la toge universitaire, Editions Seli Arslan, Paris, 2021.

    [96] Friard D., Leyreloup A-M, Louesdon J. Rajablat M., Stolz G., Windisch M., Psychose, psychotique, psychotrope : quel rôle infirmier ? Editions Hospitalières, Paris, 1994.