Billets de blog

  • Trente ans après la suppression du diplôme d’ISP, quel passage de témoin ?

    Trente ans après la suppression du diplôme d’ISP, quel passage de témoin ?

     

    Argumentaire

    Les uns après les autres, en PACA comme ailleurs, les infirmiers de secteur psychiatrique (ISP) partent à la retraite. Ils ont contribué au déploiement du soin vers la cité, ouvert les premières structures de soins ambulatoires (CMP, Hôpitaux de jour, CATTP, Appartements thérapeutiques, Centres d’Accueil et de Crise, Clubs Thérapeutiques, etc.), arpenté les rues de nos villes où ils accompagnaient les détresses sociales et psychologiques, ils ont animé des activités de médiation, se sont également mobilisés dans le temps plein hospitalier pour la régulation de l’agressivité et de la violence, reléguant souvent la camisole et autres contentions au musée des vieilleries psychiatriques, certains d’entre eux ont théorisé leur pratique. Trente ans après la suppression de leur diplôme et des études qui le validaient, que reste-t-il de ces avancées ? Qu’est devenue la psychiatrie ?

    Le temps du bilan est arrivé. Entre savoir-faire, savoir être et « savoir y faire (avec la folie) », de quelle nature sont les connaissances qu’ils ont apporté à la discipline psychiatrique ? Sont-elles menacées de disparition ? Comment assurer leur transmission alors que ceux qui les ont forgées quittent les soins ? Qu’en-est-il aujourd’hui de la formation au soin en psychiatrie ? Qui la porte ? Les rares formations d’infirmiers cliniciens ? Les I.P.A ?

    Nous vous proposons de brasser toutes ces questions lors de notre colloque du 21 mars 2022 qui se déroulera à l’Astronef au C.H. Edouard-Toulouse, à Marseille. Ni réunion d’anciens combattants, ni commémoration d’une mort annoncée mais passage de témoin, cette journée se veut résolument tournée vers l’avenir. Quel avenir pour le soin en psychiatrie ? Quelle formation ? Quels professionnels ?

    Divisée en quatre temps : avant-hier, hier, aujourd’hui et demain, cette journée nous donnera l’occasion de voir grandir une profession, de partager ses combats, ses échecs et ses réussites et nous permettra d’évaluer ce qu’elle laisse en héritage à ses successeurs. Des textes écrits par des infirmiers seront lus par les comédiens associés à l’Astronef. Cette littérature dédiée aux soins nourrira nos propos et nos réflexions.

    Association Serpsy et l’Astronef

     

    Programme

    8 h 30 Accueil des participants

    Mots de bienvenue :

    9 h : Introduction : André Péri, ISP, directeur de l’Astronef, Edouard-Toulouse

    9 h 15 Avant-hier

    Témoignage de Marius Bonnet, dans la revue Esprit (1953)

    Déclaration des infirmiers de l’Aerlip au congrès d’Auxerre (1974)

    Premières visites à domicile, André Roumieux, extrait de « La tisane et la camisole » (1981)

    Discutants : Benjamin Villeneuve, IDE, Formateur, Chercheur associé au laboratoire IHM (Institut des Humanités en Médecine), Dominique Friard, ISP, Formateur, épistémologue.

    Echanges avec la salle

    10 h 45 Pause

    11 h Hier

    « Le tout, c’est de s’inviter ! », Robert Clemente, extrait de « Rhapsodie en psy bémol », 2016.

    « Bienvenue à l’hôpital psychiatrique ! », Philippe Clément, extrait de Bienvenue à l’hôpital psychiatrique ! », 2007

    « Al Wârith, la chercheuse d’âme et le bâton magique », Marie Rajablat, extrait de « Mille et un soins infirmiers en psychiatrie », 2019.

    Discutants : Olivier Esnault, ISP, Edouard-Toulouse, Pascal Levy, Educateur Spécialisé, Valvert.

    Echanges avec la salle

    12 h 30 Repas

    13 h 45 Aujourd’hui

    « Besoin d’hommes », Dominique Friard, 1998

    « Hier j’ai donné ma démission ! », Madeleine Esther, extrait de « J’ai retrouvé mon grand-père à l’hôpital psychiatrique », 2016.

    « Monsieur Behti », Marie-France et Raymond Negrel, extrait de « Résistance et travail de rue », 2019

    Discutants : André Péri, ISP, Edouard-Toulouse, Hervé Karagulian, IDE, Edouard-Toulouse

    Echanges avec la salle

    15 h 15 Pause

    15 H30 : Demain

    « Les petits bonheurs du soin », Virginie de Meulder, 2021.

    « Au Cmp en temps de Covid », Ahmed Benaïche, 2020.

    « Germaine », Christophe Malinowski, 2020.

    Discutants : Dominique Testard, directeur adjoint, Edouard-Toulouse, Eric Ihuel, IPA, Montfavet (84), Ahmed Benaïche, Infirmier Spécialiste clinique, Valencienne (59).

    Echanges avec la salle

    Conclusion : L’an 01 de la psychiatrie, Dominique Friard

    17 h : Fin de la journée

    Les textes seront lus par les comédiens et conteurs attachés à l’Astronef.

     

    Le colloque, organisé par l’association Serpsy (Soins Etudes et Recherches en Psychiatrie) et l’équipe de l’Astronef, se déroulera à l’Astronef, au Centre Hospitalier Edouard-Toulouse, à Marseille (13).

    Les frais d’inscription au colloque sont les suivants :

    • Prix  : 100 euros

    Ces frais d’inscription comprennent la participation à la journée et le repas de midi.

    Inscription en ligne sur : serpsypaca@gmail.com

    Par le biais de votre service de formation continue. Vous devez suivre la procédure de votre établissement pour toute demande de colloque dans le cadre de la formation continue.

    Le référentiel national qualité Qualiopi oblige désormais chaque stagiaire inscrit à la formation à se soumettre à des procédures de positionnement et d’évaluation des acquis avant et après la formation

    Ces différents documents vous seront envoyés par messagerie avec votre convocation, lors de votre inscription. A charge pour vous, de les remplir et de nous les renvoyer. 

    Accessibilité

    Les Colloques Serpsy sont accessibles PMR et RQTH

    Contactez si besoin notre référente handicap : Madeleine Jimena Friard, 06 14 65 39 99, madeleine_esther@yahoo.fr

    Formation continue n° 76341112134 (ne vaut pas agrément de l'Etat)
    Datadock n°    43191078500010

    L’association Serpsy est certifiée Qualiopi 2101241.1

     

  • Soutien aux collègues psychologues

    Serpsy soutient la lutte de nos collègues psychologues

     

    COMMUNIQUÉ

    Convergence des Psychologues en Lutte (février 2022)

    Nous, membres des associations, collectifs, collèges, inter-collèges, syndicats signataires de ce communiqué, nous sommes réunis le samedi 29 janvier 2022 à Paris à la Mairie de Montreuil pour combattre les réformes délétères du Ministère de la Santé conduisant à une disqualification de notre profession de psychologue et à une dévalorisation sociale des praticiens qui l’exercent.

    Plus de 7000 collègues en présentiel, Zoom ou YouTube, en direct ou en replay (à l’heure de cette publication), ont participé à cette journée nourrie par une soixantaine de contributions.

    À l’unanimité les participants ont déploré les dernières mesures gouvernementales qui installent des dispositifs de contrôle des actes professionnels, lesquels témoignent de l’ignorance totale de nos métiers, en vident le sens et la substance, livrent les patients et leurs familles à une prise en charge uberisée et maltraitante. Ces coups de force successifs qui opèrent par des rapports et des recommandations diverses et variées détruisent l’éthique et la pratique de nos métiers, bafouent la dignité des praticiens qui les exercent concrètement, ne sont plus acceptables.

    Il en est ainsi du dispositif de remboursement de soins psychologiques standardisés et taylorisés, limités de manière arbitraire et absurde à huit séances payées à des tarifs inadaptés. Ce dispositif démagogique n’a été construit et imposé qu’à des fins électoralistes. Alors qu’il eut suffi d’augmenter le nombre de postes de psychologues dans le service public, comme dans le secteur privé qui participe aux missions de santé publique (et avec un salaire digne et non pas misérable !), l’État compte asphyxier les psychologues libéraux comme il a asphyxié le service public.

    Nous avons décidé de créer une Convergence des organisations de psychologues praticiens véritablement représentative de la profession, plurielle dans ses références et ses pratiques, pour permettre de fédérer notre profession, de refuser son massacre mis en œuvre actuellement par des logiques purement comptables et technocratiques, aveugles et ignorantes des soins psychiques dont la récente pandémie a révélé au grand jour l’urgence. La casse de notre profession rejoint la destruction de bien d’autres métiers, notamment dans les services publics. Et notre Convergence est solidaire de l’ensemble des mouvements, dans le champ de la psychiatrie comme de l’hôpital en général, du médico-social, de la justice, de l’éducation et autres encore, qui luttent pour sauvegarder une approche humaine et éthique des pratiques sociales.

    *** Nous demandons l’arrêt de la casse des institutions de soin, dans le secteur hospitalier comme dans le secteur médico-social, l’arrêt de la fermeture des services de psychiatrie dans la fonction publique hospitalière, l’embauche pérenne de soignants et notamment de psychologues dans ces établissements, à hauteur des besoins de la population.

    Nous demandons fermement l’arrêt immédiat de la mise en place du dispositif « Mon Psy Santé », le retrait des divers décrets et arrêtés relatifs aux plateformes qui font violence aux soignants comme aux patients.

    Nous appelons l’ensemble des psychologues à boycotter ces dispositifs inadaptés et méprisants, afin qu’ils soient retirés, et que le Gouvernement engage ensuite une réelle réflexion avec les organisations réunies dans cette Convergence pour envisager des modalités de prise en compte de la souffrance psychique qui soient respectueuses des psychologues et des patients qui les consultent.

    Nous appelons toutes les organisations de psychologues praticiens (associations, collèges, inter-collèges, collectifs, syndicats…), de toutes orientations ou spécialités, mais aussi toutes les organisations d’enseignants-chercheurs et d’étudiants en psychologie, à rejoindre cette Convergence pour défendre notre profession de psychologue.

    Appel des appels - Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive - Association Lire Dolto Aujourd’hui - Association des psychologues freudiens - Collectif des 39 - Collectif National Inter-Collèges des psychologues hospitaliers - Collectif des Psychologues Ariégeois - Collectif Psychologues Citoyens - Collectif des Psychologues du 49 - Collège des Psychologues de l’Arisse - CoPsy-GO ! - Espace analytique - École de la Cause freudienne (Soutien à la Convergence des psychologues) - Inter-collèges IDF - Inter-collèges Nord-Pas-DeCalais - Inter-collèges PACA - Inter-collèges des psychologues Languedoc-Roussillon - Les Signataires Collectif POP - M3P - Manifeste des Psychologues cliniciens et des Psychologues Psychothérapeutes - Syndicat National des Psychologues - Séminaire Inter-Universitaire Européen d’Enseignement et de Recherche en Psychopathologie et Psychanalyse - Unsa-Santé, Serpsy. 

    Communiqué Convergence.pdf

     

  • Pierre Delion, Liberté de penser, de circuler, de débattre

    Liberté de penser, de circuler, de débattre

    Pierre Delion

    Novembre 2020

    Le vote de la loi sur la liberté de la presse met en évidence les difficultés que rencontre le pouvoir actuel dans son rapport avec les libertés en général, sous le prétexte de la protection des personnes, en l’occurrence, ici des forces de l’ordre. Or, s’il est un pouvoir, le quatrième, qui conditionne les libertés, c’est bien celui de la presse.

    En effet, l’information des citoyens est consubstantielle à la démocratie, car, sans un éclairage le plus objectif possible sur les grands évènements du monde, sur les accidents de l’histoire, mais également sur les faits qui émaillent nos vies quotidiennes, la capacité de jugement de chacun ne peut s’exercer librement, et dans ce cas, les mécanismes authentiques de la représentativité ne sont plus opérants. Or, les journalistes et tous ceux qui participent peu ou prou à notre information citoyenne, sont les garants de ce processus fondamental. S’ils ne sont plus libres de penser, de circuler et de débattre, les informations qu’ils rapportent deviennent de facto tronquées, incomplètes, partielles puis partiales. Il est donc de la plus grande importance de garantir ces droits pour que nous puissions nous forger des opinions sur l’avancement du monde. Il est même étonnant que des responsables politiques de haut niveau, tels qu’un ministre de l’Intérieur se voit rappeler de telles évidences. Mais si j’insiste sur ces valeurs, ce n’est pas pour en tirer un quelconque discours moralisateur, plutôt pour redire que cette position de défense absolue de ces libertés fondamentales n’est pas facile à assumer, et qu’elle peut nous coûter quelques déboires.

    Pour avoir personnellement vécu une expérience douloureuse dans ce domaine, l’enregistrement de mon point de vue sur autisme et psychanalyse, tronqué par la suite à des fins partisanes par une vidéaste agissant selon les méthodes de Leni Riefenstahl, mais sans en avoir le talent, j’avais personnellement choisi de ne pas porter plainte contre elle, précisément en raison de la liberté de la presse, considérant qu’au delà de la malhonnêteté intellectuelle de la soi disant documentariste, je n’avais pas, et je l’ai regretté ensuite, pris les précautions suffisantes pour préserver cet enregistrement de toute manipulation, fût-elle perverse. D’ailleurs, ceux qui, parmi nous avaient décidé de le faire, ont perdu leur procès. Je ne m’en réjouis pas, loin s’en faut, car si la liberté de la presse est sacrée, la perversion elle, aurait due être épinglée, mais cet épisode douloureux m’a permis de comprendre le rôle fondamental de ceux qui sont chargés de notre information dans un pays démocratique : soit ils utilisent la liberté de la presse pour fabriquer des désinformations répondant à leurs visées, dans une sorte d’hystérisation idéologique des points de vue empêchant tout débat démocratique digne de ce nom, soit ils s’appuient sur elle pour informer nos concitoyens de la réalité de ce qui se passe, en prenant des risques calculés, qui sont à l’honneur de la profession de journaliste, et en nous proposant à partir de leur enquête une réflexion basée sur des faits avérés.

    Bien sûr, tous les citoyens doivent être protégés par l’Etat et ses représentants, tant qu’ils se comportent conformément aux lois en vigueur, mais protéger les policiers et les gendarmes de ce qu’ils peuvent accomplir-en réalité- dans l’exercice de leurs fonctions, revient à accepter que certains acteurs de notre vie démocratique seraient protégés quand d’autres, les soignants, les enseignants, les reclus, ne le sont pas suffisamment. Or cette exception n’est pas envisageable dans un Etat de droit. L’histoire choquante de ce producteur de musique tabassé et accusé à tort par quelques policiers ces derniers jours vient dire à quel point la liberté peut être menacée dans notre « démocratie », de l’intérieur même du corps de ceux qui sont censés la défendre.

    Mais voilà, sommes-nous bien encore dans un Etat dans lequel le droit est un bien commun qui garantit le respect de l’égalité devant la loi ? Sommes-nous d’ailleurs toujours en démocratie, où ne sommes-nous pas en train de passer « sans autre forme de procès » à une société post-démocratique dans laquelle, le droit fonctionnerait pour certains et pas pour d’autres ?

    S’agissant de la liberté de penser, au sein même de notre Education Nationale, n’a-t-il pas été question de retirer du programme des références fondamentales telles que Marx et Freud  de la réflexion philosophique d’aujourd’hui ? A quand Darwin pour ne pas fâcher ceux qui sont opposés à la théorie de l’évolution ?

    Si je prends un exemple que je connais mieux en raison de mon expérience professionnelle, celui de l’autisme infantile, je mesure que dans ce domaine, ce n’est pas le droit qui prévaut depuis longtemps déjà, mais la loi du plus fort. En effet, les textes que les décideurs appliquent avec une rigueur implacable, sont le résultat de groupes de pression qui ont obtenu par leur lobbying efficace des modifications radicales dans la politique en faveur de l’autisme en France. Si dans ces textes à valeur officielle, un grand nombre d’éléments sont très utiles pour les personnes autistes, et nous nous sommes réjouis de les voir énoncés clairement comme nous le souhaitions depuis longtemps (précocité des interventions, travail avec les parents et la fratrie, augmentation des places dévolues à la prise en charge…), en revanche, l’éviction de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle, -sans compter celle de la pratique du packing-, a été « officialisée » par la Haute Autorité de Santé, non pas à la suite d’études scientifiques objectives permettant de tirer des conclusions claires sur telle ou telle pratique, mais en raison de « l’absence de consensus sur le sujet ». C’est donc dire que ce sont les plus forts qui ont gagné.

    A partir de cet événement de 2012, les politiques-de droite comme de gauche-, ont entrepris d’appliquer les consignes de l’HAS de façon drastique, en organisant une véritable chasse aux sorcières, traquant les pratiques pouvant relever de la psychanalyse, interdisant les livres suspects d’inspiration psychanalytique dans les centres de documentations des Centres Ressources Autisme, refusant les remboursements des formations comportant le moindre soupçon de psychopathologie aux équipes désireuses d’ouvrir leurs connaissances à des champs diversifiés. Une Agence Régionale de Santé, celle de Nouvelle Aquitaine, a, sous l’influence d’un directeur adjoint en conflit d’intérêt avec ses missions, entrepris de désorganiser totalement le fonctionnement des CMPP pour en faire des plateformes au service exclusif des troubles du neuro-développement[1]. Un groupe de députés, mené par un tandem droite-gauche, a même tenté de faire interdire l’enseignement de la psychanalyse à l’Université. Heureusement, la chambre des députés a vivement réagi pour empêcher cette absence de discernement très inquiétante venant de responsables politiques.

    En ce qui concerne la psychiatrie en général, je pourrais parler longtemps de la régression des conditions de soins des malades mentaux avec une croissance exponentielle des contentions, des services fermés, des prescriptions médicamenteuses sans accompagnement psychothérapique, venant témoigner d’une invalidation progressive de la liberté de circuler. Des soignants de psychiatrie ont essayé d’alerter, trop souvent en vain, les autorités de tutelles des manques considérables de moyens en personnes pour traiter dignement ces pathologies complexes. Des grèves ont été menées, parfois au péril de leur vie, par des soignants, des manifestations ont été organisées, des rapports ont été rédigés. Mais les seules réponses consenties portent sur l’attente d’un avenir meilleur, celui qui verra advenir les marqueurs biologiques de la schizophrénie et de l’autisme, et les fantasmes de voir enfin résoudre ces problèmes complexes par le miracle d’une molécule ou l’effort d’une éducation thérapeutique inspirée le plus souvent de la méthode Coué.

    Pour ce qui est de l’enseignement, à l’occasion de la décapitation atroce de Samuel Paty, nos concitoyens se sont offusqués de l’intolérance des fondamentalistes islamistes responsables de tels actes de haine, répandus partout sur nos réseaux sociaux. Et nos dirigeants ont entonné des airs martiaux condamnant ces contempteurs de nos libertés chéries.

    Bien sûr, il n’y a pas de mort à déplorer parmi les professionnels qui continuent de défendre, non pas l’exclusivité de la psychanalyse, mais son intérêt parmi d’autres dans les approches compréhensives et humanistes de la psychopathologie « transférentielle », y compris avec les personnes autistes si elles le souhaitent. Mais la liberté de penser serait-elle de nature différente lorsque l’on parle de la possibilité de publier des caricatures d’un prophète et lorsque l’on évoque Freud et ses successeurs ? Pourquoi faudrait-il défendre la position des premiers et condamner les deuxièmes au bûcher ?

    Dans notre pays, l’Etat était érigé en puissance au dessus des points de vue contradictoires pour assurer une continuité dans les politiques publiques. C’est ainsi que les lois et règlementations sur la psychiatrie de secteur avaient été pensées et édictées. Certains pensaient que la psychiatrie devait se conformer à telle théorie, tandis que d’autres à telle autre théorie. La psychiatrie de secteur proposait une organisation sans préjuger du contenu des interventions, libres à ceux qui l’appliquaient de construire des compromis pour mener à bien les missions imparties. C’est dans cette possibilité d’ouverture que les neurosciences pouvaient parfaitement s’articuler avec la psychopathologie transférentielle. Mais l’Etat, quittant ses responsabilités supérieures, et laissant tomber les praticiens du service public, a préféré s’adonner à une démagogie coupable de ce qui arrive aujourd’hui, la « mise sur le marché » de pseudo-lois au service de lobbies partisans, aboutissant à des clivages délétères pour les objectifs poursuivis.

    Bien sûr, parmi les représentants élus il existe beaucoup de personnes qui prônent la liberté de penser, de circuler et de débattre.

    Bien sûr, parmi les hauts fonctionnaires chargés de mettre en œuvre les politiques définies par les élus du peuple, il existe de nombreuses personnes qui s’engagent dans la défense des valeurs communes.

    Bien sûr, parmi les acteurs de la société civile, figurent des citoyens qui militent pour que les conditions de vie de chacun soient sans cesse améliorées.

    Mais malgré tous ces témoins vivants et actifs du tissu démocratique, les intrusions sous marines des lobbies hostiles à la pérennité des services publics viennent saper les mécanismes du paysage démocratique, inversant les rapports de forces en faveur de l’entropie pseudoscientifique et technobureaucratique en venant diminuer progressivement nos libertés de penser, de circuler et de débattre.

    Sans liberté de penser, pas de créativité. Sans liberté de circuler, pas de découvertes de nouveaux pans de la connaissance. Sans liberté de débattre conflictuellement, pas de démocratie.

    Nous sommes actuellement en train de dériver vers un tel paysage de désolation. Bientôt les forces, notamment quelques associations de familles porteuses de doctrines très antipsychiatriques, qui ont participé au lobbying déjà évoqué et fait basculer ces régulations articulées au bien commun, se rendront compte qu’elles « se sont fait avoir » par ceux qui leur promettaient monts et merveilles, et que leurs attentes ont été trompées.

    Alors il sera trop tard pour reconstruire un service public, qui, avec ses défauts inhérents à toute institution humaine, a, « quoiqu’il en coûte », la mission d’accueillir et de soigner tous ceux qui se présentent à lui. La santé sera aux mains d’organismes privés à but lucratif qui ne se soucient pas vraiment de la misère du monde…


    [1] A l’instant où je rédige ce texte, nous venons d’apprendre que, suite à une interpellation du gouvernement par le courageux député Hammouche, le ministre de la santé s’est désolidarisé de telles pratiques quasi-fascistes.

  • Non à la politique de la peur !

    Non à la politique de la peur ! 

    Une prise de position de l'USP

    https://printempsdelapsychiatrie.files.wordpress.com/2020/11/usp-politique-de-la-peur-23-nov.png?w=635

  • Soutien aux étudiants

    L’association serpsy soutient les étudiants en soins infirmiers

    Ils ne sont pas taillables et corvéables à merci !

    L’association serpsy soutient les étudiants en soins infirmiers de deuxième année dont les études ont été suspendues afin de fournir de la main d’œuvre bon marché à des hôpitaux mis en crise par l’action conjuguée du COVOD 19 et surtout les coupes franches effectuées par la technostructure qui domine au ministère de la santé. Au moins payez-les correctement !

    Expolites

    Synthèse de la situation des ESI (étudiants en soins infirmiers)

    Merci à tous ceux qui ont participé au recueil d’informations et notamment à Olivier et Adèline et Sandrine, pour les écrits et pour les commentaires aux cadres formatrices, aux étudiant(e)s infirmier(e)s, aux IDE et cadres de soins de différentes régions.

    Compte tenu de la situation sanitaire actuelle, attribuée aux hospitalisations liées à la Covid 19 et dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire décrété par le gouvernement, des filières de formations ont été momentanément suspendues dans le but d’apporter du renfort aux équipes de soins et pourvoir autant que faire se peut aux besoins en personnel dans les services de soins.

    Les ARS de différentes régions ont donc promulgué en novembre 2020 un arrêté portant sur la suspension de filières de formations paramédicales. Les arrêtés différent selon les régions. Les étudiants médicaux et paramédicaux sont ainsi sollicités pour travailler en service de soins.

    ex : ARS Grand Est arrêté n° 2020-3430 du 03nov. […] « suspension de 4 filières de formation préparant au diplôme d’état : d’infirmier de bloc opératoire, d’infirmier anesthésiste, d’infirmière puéricultrice, de cadre de santé . Période : semaine de 45 à 53. Durée 9 semaines. »

    ARS PACA : La formation des ESI de 2A est suspendue depuis le 16 novembre 2020 et au moins jusqu’au 13 décembre 2020 pour permettre aux étudiants de pallier au manque d’effectifs humains.

    Ces suspensions d’un mois peuvent être renouvelées une fois.

    Des petites mains sous-payées pour cacher les erreurs des ARS ?

    Les raisons de ce manque d’effectif sont soulignées par différents syndicats. Ils sont bien antérieurs à l’épidémie qui sévit actuellement. (CF manifestations et alertes des professionnels de soins qui remontent à plusieurs années). Des manifestations sont envisagées. D’ailleurs des étudiants ont déjà fait largement savoir leur indignation par les média et les réseaux sociaux. La FNESI (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers), le CEFIEC (Comité d’entente des formations infirmières et cadre) et l’ANDEP (Association nationale des directeurs d’écoles paramédicales) soulèvent l’iniquité ainsi engendrée dans les filières de formation.

    Selon les régions, les décisions montrent une disparité importante notamment au niveau du financement de cette participation demandée aux étudiants et de fait des modifications de leur statut. (Suspension de la formation : ils ne sont plus étudiants).

    En région PACA, les arguments pour le choix des ESI de 2A sont les suivants :

    - Les ESI de 1A ne sont pas concernés car n’auraient pas suffisamment d’expérience

    - les ESI de 3A sont trop prêt du DEI et seront diplômés courant 2021 : reculer la date de leur diplôme serait stratégiquement inadapté compte tenu de la pénurie d’infirmier.

    - les ESI de 2A (promo 2019 – 2022) sont concernés car la validation des UE de 1A leur donne les compétences pour exercer comme aide-soignant . Mais beaucoup ont une expérience liée à la Covid entre autre du fait de recrutement volontaire à « la 1ére vague »

    Ils sont actuellement en période de stage et suffisamment loin du Diplôme pour avoir le temps de passer les examens avec succès.

    Pour ce qui est des rémunérations elles peuvent se faire soit sous forme de prime soit sous forme de CDD. Ce point varie selon les régions. Ce qui crée une iniquité d’autant plus que les formations ne sont pas suspendues dans toutes les régions.

    Que demandent les étudiants ?

    Les témoignages des ESI ne mettent pas en question le fait de participer volontairement à ce redéploiement du fait de leur engagement dans ce type de profession.

    Par contre ils sont choqués par la façon dont ils ont été informés. Façon qu’ils considèrent comme cavalière : au dernier moment par mail avec une réunion d’information sommaire organisée dans les IFSI. Les étudiants ne se sentent pas considérés et peu respectés. Les cadres formateurs sont aussi choqués que les étudiants.

    Les ESI sont également inquiets pour la qualité de leur formation et craignent au moment du DEI de manquer de compétence et de ne pas savoir faire face à toutes les situations de soins, voire craignent de mettre des vies en danger. Alors que leur formation est censée être polyvalente, ils ont le sentiment d’avoir une « formation covid ». Enfin, la formation infirmière est notamment ponctuée de stages encadrés et diversifiés qui leur permettent d’apprendre les pratiques infirmières en sécurité avec un accompagnement adéquat. Or les actes infirmier et les actes aide-soignant sont différents, même s’ils font partie de la formation infirmière.

    Comme les professionnels, ils sont eux aussi épuisés car notamment ils ont dû travailler les partiels, reportés du fait de la « 1ére vague » début 2020 et disent qu’ils n’ont pu vraiment se reposer. Ce qui risque de se reproduire encore. Se rajoute au stress de la formation, le stress lié aux situations de soins du fait de la Covid. Beaucoup se sentent peu soutenus dans l’incertitude générale.

    Les étudiants qui ne sont pas en promotion promotionnelle hospitalière rémunérés durant la formation, craignent de ne plus bénéficier des aides financières liées à leur statut d’étudiant, à cause de la suspension de la formation Ce dernier point est contredit par le gouvernement. Dans les faits certains étudiants craignent de se trouver en situation de précarité d’autant plus que beaucoup font des « petits boulots » pour assumer leur formation et que le confinement et les périodes en service ne facilitent pas toujours le maintien de ces petits revenus. L’ARS assure le maintien des bourses mais ce sont des points qui restent anxiogènes pour les étudiants qui sont souvent dans des situations financières difficiles, voire critiques.

    En suspendant les formations l’ARS espère que les étudiants s’inscriront volontairement sur une plateforme dédiée. (Plateforme renfort RH de l’ARS). Est-ce que les étudiants ont une garantie de trouver un lieu de recrutement pour exercer comme aide-soignant, où ils pourraient bénéficier de vacation ou de CDD auprès des établissements bénéficiaires sur ladite plateforme ?

    Réfléchir au sens du soin, de l’engagement de chacun et de l’attitude des ARS …

    Au-delà de la situation difficile que vivent les étudiants et de toutes les incertitudes dans lesquelles chacun se trouve, révélées notamment par les stratégies mises en place en cette étrange période, les discours contredits par les faits, les attitudes contradictoires, il serait temps de réfléchir au sens que tous ces épisodes, nous apprennent du vivant, de soi, du collectif.

    Véronique pour l’association Serpsy.

  • Les Shijimachi nungen

    Le saviez-vous ?

    Jake Adelstein, premier journaliste américain à avoir travaillé au sein d’un journal japonais, a écrit quelques ouvrages où  il déplie ses aventures et ce qu’il a compris de la mentalité japonaise. Tokyo Vice, traduit en français en 2016, par Points comprend un chapitre intitulé Le parfait manuel du suicide. Tout le chapitre est intéressant. J’en retiens un passage parce qu’il me fait penser aux maniaques du protocole qui ne peuvent prendre la moindre initiative, ni s’écarter d’un iota de la règle posée. Vu de ma fenêtre, quand on a ce rapport à la règle, à la loi il est assez malvenu de reprocher quoi que ce soit aux fondamentalistes, islamistes, puritains, évangélistes, catholiques, musulmans, bouddhistes ou juifs intégristes qui sévissent jusque dans la cours suprême des Etats-Unis.  

    Tokyo vice

    Qu’écrit donc Adelstein de si intéressant ?

    « Aujourd’hui l’obsession des Japonais pour la bonne manière de faire est toujours aussi vive. Il y a quelques années l’expression manual ningen (les hommes manuels) était à la mode pour désigner une génération de jeunes Japonais incapables de toute indépendance d’esprit. L’expression fait aujourd’hui partie du langage courant, et désigne celui qui ne peut pas s’empêcher de suivre les instructions et est incapable de sortir des clous. Un synonyme de manual ningen est shijimachi ningen (les gens en attente d’instructions), qui comme vous pouvez l’imaginer, fait référence à des employés de bureau dépourvus d’initiative. » (1)

    Adelstein met le doigt sur un phénomène qui n’est pas une dérive individuelle mais une tendance collective, une fuite des responsabilités, un rapport à l’écrit, à la loi qui ne peuvent se penser que référés au collectif. Ce rapport s’actualise différemment selon les codes, les cultures, les références religieuses, les individus. Les conséquences en sont toujours dramatiques.

    Louis Hecktor

      1. ADELSTEIN (J), Tokyo Vice, trad. Cyril Gay, Editions Marchialy, Paris, 2017.

  • Des vertus du débat sur la contention

    Des vertus du débat sur la contention

    L’aurore de ses doigts roses caresse tendrement la jongle endormie.[1] Dans ma hutte de bambou tressée je flâne sur le compte Facebook de la revue Santé Mentale. J’y lis que plus de 800 soignants ont assisté le 29 novembre 2017, à Lyon, aux 3ème Rencontres Soignantes en Psychiatrie. Le thème en était « Isolement et/ou contention : quelles perspectives cliniques ? » Je me concentre, je fais le vide dans mon esprit ainsi que le recommande Christophe André. Je laisse tous mes muscles se détendre. Parfaitement serein, je peux lire les commentaires. Quelques réactions de dépit : « Un peu déçue par des pratiques pas franchement innovantes. Et pas de temps pour le débat. » « Moralisateur et pas de place au débat. Déçue. »

    Faut-il s’arrêter à ces deux commentaires ou au contraire ne s’attarder qu’aux pouces levés des 71 like ? Il faudrait éviter de laisser les messages s’incruster dans nos esprits. Ne regarder que ces pouces glorieux qui valent approbation. Je suis ainsi fait que les mots m’attirent beaucoup plus que les images. Je préfère d’autant plus me focaliser sur les mécontents que présent lors de cette journée, j’ai eu la vive impression que tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes psychiatriques. Il est vrai qu’il y eut peu de place pour le débat. Douze interventions, un film, une remise de prix, un pique-nique géant organisé dans la salle de conférence, des pauses. Le menu intellectuel était copieux. Trop ? Quelques rares questions ont ponctué les quatre tables rondes. Applaudies chaque fois qu’elles visaient à légitimer isolement et contention. C’est en tout cas ce qu’il m’a semblé. Il est vrai que je n’ai fait que passer.

    Donc pas de temps, ni de place pour le débat. Le constat mérite que nous nous y arrêtions même s’il semble très minoritaire. Le débat aurait-il eu davantage de place si les organisateurs avaient prévu davantage de temps pour les échanges ? Rien n’est moins sûr. Est-il possible de débattre à 800 ? En cette période covidienne la question paraît absurde mais elle fut quand même posée en novembre 2017 lorsque cette chronique fut publiée pour la première fois sur le site serpsy.org. Une journée consacrée aux perspectives cliniques soulevées par l’isolement et la contention en général implique-t-elle des positions si  tranchées qu’il faille en disputer ? Chacun n’est-il pas d’accord avec le fait que la contention est nuisible en général ? On peut, par contre, discuter de cas particuliers, se demander s’il est ou était légitime d’attacher M. Dupont, un jeune psychotique délirant qui abuse régulièrement de cannabis. On s’opposera des arguments cliniques, on évaluera son potentiel de dangerosité, on scrutera le nombre de personnel présent au moment de sa crise d’agitation. Mais peut-on le faire à 800 ?

    La question mérite d’être posée mais apparaît finalement comme assez secondaire. Sans le savoir, nos deux déçues des R.S.P. ont mis le doigt sur un mécanisme tout à fait passionnant qui relie, pour la langue, débat et contention. 

    Du débat à la contention

    Chacun de nous, plus ou moins façonné par la télévision, croit savoir ce qu’est un débat. Le Grand Robert de Langue Française le définit comme « l’action de débattre une question, de la discuter avec un ou plusieurs interlocuteurs qui allèguent leurs raisons. » [2] Le débat fut même un genre littéraire en vogue au Moyen-Age et à la Renaissance. Deux personnages allégoriques s’y opposaient dans un dialogue autour d’un thème choisi donnant lieu à de véritables joutes oratoires. On doit ainsi à la poétesse lyonnaise, Louise Labé, le  fameux Débat de Folie et d’Amour. On n’en sort décidément pas ! En un fameux passage à l’acte Folie énucléa Amour qui en devint aveugle.

    Ainsi, qui dit débat dit conflit, dissension, désaccord. Nos deux collègues en regrettant l’absence de débat font état d’une opposition entre ceux pour qui ça va de soi et ceux pour qui ça ne va pas de soi. Les opposants n’auraient pas eu, selon elles, l’espace pour développer leur argumentation. C’est effectivement dommage.   

    Le mot débat, apparu au XIIIème siècle, est le déverbal du verbe débattre qui avait le sens de « battre fortement », puis « se débattre » et « discuter ». Par battre, on entendait d’abord donner des coups. Si le sens du mot s’est affadi avec le temps, il s’est ressourcé en étant à l’origine de nombreuses expressions techniques agricoles : « battre le grain », « fouler le drap », « rabattre la faux », etc.

    Débattre c’est donc s’opposer avec des mots, des arguments, de la raison. Cette mutation, synonyme de progrès et de socialisation, conduit le mot à en croiser un autre aux significations, à l’origine, assez proches : contention. Tendre avec force, lutter, puis débattre et discuter. On évoque un esprit de contention et de chicane. Dans un langage assez soutenu la contention décrit au XIVème siècle la tension des facultés intellectuelles vers un objet de pensée puis une tension importante, un effort physique intense avant que la chirurgie s’en empare au XVIIIème siècle et n’en fasse l’action de maintenir dans une position adéquate un organe accidentellement déplacé. Lorsque l’on se réunit pour étudier le parcours clinique d’un patient qui pose problème et que l’on envisage de contenir, on fait preuve de contention. Lorsque chacun associe, réfléchit, se confronte à d’autres soignants plus à distance de la situation, lorsque l’on relit le dossier, lorsque l’on mobilise des situations proches pour en tirer des leçons, une expérience qui pourrait éclairer, c’est de la contention. Au sens premier du terme. Quand on renonce à ce  travail de pensée, quand on substitue des actes à une réflexion qui nous borde on est contraint à la contrainte, à la contention. 

    Comment passe-t-on du sens chirurgical, réel dirais-je, à un sens métaphorique sinon fantasmatique ? Difficile d’y répondre en quelques phrases. On retrouve le sens spécifiquement psychiatrique du terme : « Immobilisation d’un malade mental agité ou furieux au moyen de dispositifs appropriés (camisole, ceinture, etc.) ».[3] La définition est illustrée d’un exemple : « Philippe Pinel fut l’un des premiers aliénistes à renoncer au principe de la contention des agités, entièrement abandonné depuis la découverte des neuroleptiques. »[4]

    Il serait un peu facile d’affirmer que pour la langue, moins on utilise ses facultés intellectuelles et psychiques, moins on se préoccupe d’un objet de pensée tel qu’un patient ou un malade mental, plus on tend à l’attacher. La contention viendrait à la place du débat. On peut comprendre que nos deux collègues regrettent son absence.

    Débattre à 800 ?

    Il est heureux que les soignants soient en désaccord autour des isolements et contentions. Le consensus en cette matière serait tout à fait dommageable et pour les soignants et pour les patients même si notre bonne conscience préfèrerait que tous soient opposés à ces mesures. Nous sommes contre tant qu’aucune situation ne dépasse notre capacité à contenir agressivité ou violence. Il suffit que nous soyons en difficulté pour que la vigueur de notre refus faiblisse. Dans l’équipe certains commencent à en parler. Timidement. A voix basse. Autour du café. Ils ont connu un service où … Ils se rassurent très vite en précisant que dans ce service c’était rare et que ce n’était pas de la maltraitance. Plus l’équipe se sent en difficulté et plus ce courant d’abord souterrain prend confiance et parle ouvertement. Jusqu’au jour où l’on se résout à attacher le patient qui perturbe la vie du service. On est bien persuadé qu’on ne l’a fait qu’en dernier recours : « On ne pouvait pas faire autrement ! » Que ce soit vrai à cette occasion n’implique en rien que cela le soit lors des contentions suivantes. Parfois le pli est pris. La contention devient un mode de gestion des comportements inadéquats.

    Parfois, on en reste là. A cette unique expérience. C’est tellement douloureux d’avoir dû en arriver à cette extrémité, qu’on y renonce définitivement. Les soignants en parlent pendant des années, même ceux qui ne travaillaient pas encore dans l’unité. Ça fonctionne comme une faute collective qui se transmet de soignants en soignants.

    Débattre ? A 800 ? Impossible.

    Ce n’est pas la bonne échelle.

    L’isolement et la contention doivent être débattus à l’échelon local, entre collègues. On doit pouvoir s’opposer, faire état de nos désaccords, échanger des arguments et faire le constat que ces différences d’appréciations ne nous transforment pas en ennemis irréconciliables.

    Les services psychiatriques sont assez mal faits. Il n’existe aucune possibilité de  pouvoir compter le nombre de like lorsqu’une décision est prise. Si la communication, et je n’ose dire la réflexion, passaient uniquement par Internet ou par smartphone, si chaque soignant avait son avatar, il serait possible d’envoyer des like au médecin qui modifie un traitement neuroleptique. Chaque soignant serait une sorte de Néron qui pourrait abaisser ou lever son pouce, signifiant ainsi, la vie ou la mort pour la décision prise. On perdrait moins de temps en réunion.

    Y aurait-il moins de contentions et d’isolements ?

    Dans la jungle psychiatrique qui roupille, je laisse mes doigts se détendre, je les fais craquer. J’enfile une paire de gants et m’apprête à appuyer sur la touche. Le débat ne passera pas par moi.

    Dominique Friard, Lanceur d’alertes


    [1] GOTLIB, Rubrique-à-brac, n° 4, Dargaud, Paris, 2006, p. 4.

    [2] REY (A), Grand Robert de Langue Française, Paris, 2001.

    [3] REY (A), Grand Robert de Langue Française, Vol. 2, Paris 2001.

    [4] Ibid.